En général, quand j'écoute un album promotionnel pour la première fois, je le lance en faisant autre chose (surfant sur le net, lisant...). Cela permet un test tout simple : en fonction de ce que mon audition passive perçoit, je sais très souvent dès la première écoute si l'objet en question est susceptible de me plaire. Certains albums, une fois la première lecture achevée, ne me laissent aucun souvenir, et c'est évidemment le plus souvent un mauvais signe. Et puis des fois, sans forcément m'en rendre compte, je suis happé par ce que j'entends. Et c'est là que les choses deviennent intéressantes...
Gazpacho, même si le nom n'est pas excessivement connu ici en France, est un groupe qui va bientôt fêter ses 20 ans d'existence. De leur Suède natale, le groupe a déjà pondu 7 albums depuis 2003, agrémentés de 2 lives. Plus connu pour avoir reçu fût un temps le soutien de Marillion, le groupe officie depuis ses débuts dans une veine rock mélodique progressif, rappelant tant Radiohead qu'Anathema, en passant par Porcupine Tree. Vous l'aurez compris : c'est plutôt doux, lent, posé et mélodique – et assez souvent mélancolique. Pour son septième album, donc, Gazpacho a choisi un format inédit dans sa carrière : 4 titres seulement (plus un morceau en bonus que nous n'avions pas avec le promo), mais pour 46 minutes de musique tout de même – "Death Room", le final, atteignant les 18 minutes. Si ce type d'expérience colle par définition à la musique pratiquée par le groupe, il ne fallait pas se planter : un morceau raté ou pénible et c'était un quart de l'album qui décevait. Mais autant le dire tout de suite, Gazpacho a évité avec brio cet écueil en proposant une œuvre aussi majestueuse et élégante que douce et raffinée.
Il ne s'agira pas ici de proposer une analyse musicale des quatre morceaux proposés sur Demon, la musique de Gazpacho gagnant à être prise dans son ensemble et non disséquée, pesée et mesurée. Demon, c'est un peu une rêverie et un voyage dans un pays étrange, à la fois triste et dansant. Il y a quelque chose de magique dans les arpèges et la voix traînante de "I've Been Walking Part 2", quelque chose de mystérieux dans les notes de piano de "I've Been Walking Part 1" (depuis ses début, Gazpacho aime fragmenter ses titres en différentes parties), ou encore un sentiment délicieusement désuet à l'écoute des harmonies folkloriques balkaniques sur "The Wizard Of Altai Mountain" et son final complètement traditionnel avec contrebasse et accordéon. On pourrait penser que l'acte est gratuit, mais à prendre l'album dans son ensemble, cela ne détonne pas et participe au voyage que nous propose Gazpacho. Et puis, le grand final, "Death Room", sinueuse et mélancolique, tantôt mystérieuse, tantôt bouleversante – jamais ennuyante ni répétitive. Une musique à écouter en regardant la campagne défiler par la fenêtre d'un train, ou dans une semi-pénombre, seul et l'âme voguant au gré des ambiances distillées par les Norvégiens.
Des instrumentations envoûtantes, une voix douce et posée, comme disant une confidence : jamais Gazpacho n'agresse, mais toujours se montre séduisant, timide et délicieusement discret. Une basse ronflante, une batterie simple tout en nuances et une kyrielle d'instruments acoustiques passant du violon au piano, le tout pour donner aux compositions du groupe un écrin de douceur et de vapeurs, légères circonvolutions mélodiques peignant un paysage à la fois fragile et sombre. Musicalement, les influences se fondent : ont déjà été cités les grands noms du rock progressif dont Gazpacho se réclame sans honte, à cela il faut ajouter autant d'ambiances de musiques traditionnelles et folkloriques dans lesquels le groupe pioche allègrement, ajoutant des lignes de basses et de piano que l'ont aurait plus imaginer dans une fête de village ou une kermesse, mais toujours avec ce côté résolument introverti, presque recueilli, qu'affectionne Gazpacho. Quelques chœurs de femmes ici ou là : il n'en faut pas plus au groupe pour proposer quelque chose de puissant mais de posé, de doux et de fascinant. Quelque chose qui, définitivement, invite à la réflexion et au voyage.
Alors laissez-vous porter. Essayez. Il est bon de temps en temps de tendre la main et de se laisser guider en confiance par autrui, sans savoir où l'on va, sans savoir ce que l'on rencontrera. Sans savoir comment nous ressortirons de l'expérience, ou à quel point elle nous changera. Rassurez-vous : le seul danger qui vous guettera sera celui de vouloir recommencer et de repartir de zéro pour un tour. Encore et encore.