A l'image du très simple mais néanmoins magnifique artwork qui illustre l'album, Panopticon est un disque épuré, mais révélateur d'émotions tellement fortes, qu'on les croyait à peine possibles, juste en écoutant de la musique. Inclassable, mais référencé à des groupes tels que Neurosis, hors des barrières très formelles du metal, Isis avait déjà, doucement mais sûrement, fait parler de lui avec Oceanic et avant lui, Celestial. Mais pas de cette façon. Vous savez, plutôt à la manière d'un groupe inconnu, mais dont on négocierait en cachette le bouche-à-oreille. Genre on y goûte une fois, on y est dépendant à vie. Panopticon ne déroge pas à cette règle de bienséance, en nous proposant rien de moins que la bande-son de nos rêves les plus inespérés.
L'influence de Neurosis est assurément présente. Isis joue un metal aux frontières du post-core et de l'atmosphérique. Quasi-instrumental, Panopticon n'en oublie pas pour autant la mélodie, loin de là et crée des compositions où toute échelle de valeur ne pourrait à peine s'appliquer, tellement le degré de finition de ce disque est ahurissant. Bénéficiant d'une production magistrale et d'un excellent mixage, mettant bien en relief les différents atomes composant la musique d'Isis, Panopticon est à la fois lourd comme de la pierre, hurlant son désespoir à qui veut bien l'entendre, et à la fois léger et vaporeux comme une expérience fugace, mais qui laisse une trace indélébile. En témoigne le surprenant "So Did We", qui, d'entrée de jeu, nous assène un riff croisé mémorable pour les tympans, accompagné d'un chant hurlé d'une rare violence, puis qui allège tout de go la suite du programme, avec une rythmique et une mélodie rappelant Oceansize. Enfin, de nouveau, un riff très lourd reprend le dessus, laissant ensuite la place à une des plus belles mélodies que j'ai jamais entendues.
De ce double visage musical, Isis va en jouer tout le long de Panopticon, jouant avec nos émotions comme avec les notes de leurs partitions. Du lancinant et éthéré "Backlit" (qui, dans un élan de fureur, finira par faire éclater progressivement sa mélancolie, au cours d'un crescendo lui aussi tout autant mémorable), en passant par le cathartique "Grinning Mouths" et son final ha-llu-ci-nant, digne de la fin de "Deliverance" d'Opeth, jusqu'au fabuleux (et je pèse mes mots) "Altered Course", au tempo de batterie dévastateur, qui nous gratifie d'une mélodie de guitare si légère et irréelle, qu'elle relèverait presque d'une expérience onirique.
Onirique, ça y est, le mot est lâché. Le pire, c'est que Panopticon est si beau, qu'on en oublierait presque que c'est un album quasi-instrumental. Le chant, qui laisse toute leur place ici aux instruments pour s'exprimer, relève seulement la tête lors de très fugaces apparitions, juste pour exprimer en mots les sentiments hurlés par les autres composantes du groupe. Proche de la saturation, mais parfois aussi beaucoup plus humain, ce chant n'est pas si anecdotique qu'il paraît. Il existe suffisamment pour nous signifier que c'est encore de la musique, et que tout ceci sort bien de quelque part.
Panopticon va être rapidement auréolé de cette étiquette relativement casse-gueule d'album majeur. Bien que cet album soit, à mon avis, difficilement taillé pour la scène, c'est du côté des émotions ressenties à son écoute que tout va se jouer pour lui. Les sept compositions (pour une heure de musique) qui tissent la trame de fond de cet album sont, à ce titre, écrites de main de maître. Chaque riff, aussi magistral soit-il, chaque tempo, chaque ligne de chant est à sa place. Absolument rien n'est superflu. Tout bien réfléchi, il faut laisser son empirisme au vestiaire pour apprécier pleinement ce disque. Et se laisser porter, tout simplement, au fil des écoutes, par un des plus beaux disques de metal qui soit. Isis est-il seulement conscient de ce qu'il a enfanté? Oceanic était un chef d'oeuvre, Panopticon est Magistral, avec un grand M.