L'album le plus monolithique de Darkthrone. L'album le moins diversifié de Darkthrone. L'album le plus intransigeant de Darkthrone. L'album le plus noir de Darkthrone. Voici ce que représente Transilvanian Hunger. Le disque le plus pur qui sortira jamais des esprits profondément viciés de ces norvégiens plus ou moins incompétents et dilettantes. Une essence malsaine les a habités sciemment durant la composition de cette ode à la noirceur, de celle qui va pour une nuit, la fin d'une soirée d'hiver, qu'on ne peut plus retrouver par la suite. Cette lueur de fin d'adolescence qui s'étiole irrémédiablement sans laisser la place à la plus infime once d'espoir.
Transilvanian Hunger est le couronnement d'un Empereur qui sait qu'il restera à jamais comme le plus Grand de l'Histoire. Cette Histoire, c'est celle du black metal qui vivait encore sa folle nuit d'amour de jeunesse. Cette nuit qui dura trois longues années et qui se perdit pour toujours dans les abymes. Darkthrone représente la frange la plus extrêmiste musicalement parlant de ce courant norvégien qui marqua pour l'Eternité le black metal et le metal en général au début des années 90. Le true black metal. Voilà ce qu'est Darkthrone et voici ce qu'est Transilvanian Hunger. Un disque d'une évidence folle et d'une simplicité imparable qui ne saurait et ne saura être dépassé. Le Charlemagne d'un genre qui a tout créé et détruit avec lui. Ceci est la campagne d'hiver du black metal qui en connaît un rayon en matière de froid. Pourtant... pourtant de tous ses pores infectés cet album suinte le froid et la misère, plus que n'importe quel autre dans son style. Nous ne sommes qu'en 1994 et une horde de disques envahira les rayons par la suite et ils ne le dépasseront pas en intensité.
Beaucoup sont plus rapides. Beaucoup sont plus terriblement enregistrés. Aucun n'est plus maléfique. La longue nuit d'hiver dans laquelle nous plonge Transilvanian Hunger n'est pas de celle qu'on oublie. Elle est de celles qui si ironiquement d'après l'expression, marquent au fer rouge la face de la musique. La réunion incroyable de deux esprits, et d'un troisième qui s'en est allé sans raison donner, qui ont tiré la "Quintessence" (chanson qui ne se trouve pas sur cet album) ultime du black metal. Il suffit d'écouter le riff inlassablement répété de la titanesque chanson titre, flirtant avec la mélodie sans pour autant jamais la toucher du doigt, pénétrer dans notre être pour lui en tirer la substantifique moëlle. La chanson cent pourcent norvégienne et très courte qui suit confirme l'évidence de la réussite effarante de cette simplicité maladive. "Over Fjell Og Gjennom Torner" pose en trois minutes plus d'ambiance que beaucoup d'ersatz de true black en une vie. Et cette batterie ... La négation pure et simple du batteur. Un blast continu sur tout l'album, ou presque. Les breaks sont quasi inexistants, les variations de tempo quasi inconnues. C'est la force inhumaine de ces compositions proche de l'onirisme noir.
Car il ne faut pas s'y tromper, si Transilvanian Hunger défraye et ébahit l'amateur de black metal, c'est non seulement par ses riffs hantés mais aussi par ce jeu scandaleusement robotique, et néanmoins tellement imparfaitement humain, de batterie. Fenriz joue à l'absolu manchot et il le fait diaboliquement bien. Son compagnon Nocturno Culto l'accompagne avec majesté à la guitare en arrivant presque à baisser d'autant son jeu. Ses riffs jouables par le fœtus de quatre mois sont cependant d'une inspiration inimaginable. Touchés par la grâce. Oui, les reproches du style « il n'y a aucune recherche musicale » sont fondés et recevables. Mais ce que ces 2 là créent avec rien, personne n'arrive à le faire avec tout. L'ambiance littéralement mortuaire et glacée qui se dégage de la musique du groupe prend au plus profond des tripes et ne lâche pas l'auditeur fan de black metal. Le chant possédé ajoute à l'ensemble en amenant un peu plus loin encore le noir. Le tryptique final "I En Hal Med Flesk Og Mjod", qui ose l'accord continu plus de vingt secondes durant, "As Flittermice As Satans Spys", véritable hymne des Enfers, et "En As I Dype Skogen", chanson qui marque la fin de l'album ainsi que du black metal, achèvera n'importe quel adorateur du genre. Celui qui n'aime pas devra admettre une atmosphère au couteau et incroyablement prenante.
Alors ? Alors que rajouter ? Rien. Transilvanian Hunger c'est la démesure du black metal dans son nihilisme musical. C'est rien et tout aussi selon la vision qu'on adopte. Et forcément les réactions sont tranchées. Il faut crier au génie séculaire pour le fan. Il faut hurler au scandale, car c'en est un, pour celui qui n'est pas sensible à cette musique. Mais le parti pris de cette chronique est le black metal, donc celui que cet album est l'infranchissable sommet du genre dans sa plus grande pureté. Si vous voulez toucher des oreilles la perfection des ambiances, goûtez-le. Si vous recherchez de la musique, passez votre chemin.