Quand un label veut vendre la nouvelle came d’un groupe ayant déjà quelques heures de vol, il pond un communiqué en ouvrant bien grand les guillemets et attribue, à tort ou à raison, les propos suivants au leader du groupe (en anglais, évidemment) : « This album is our heaviest (option a) / most mature (option b) work. » Ça fonctionne à tous les coups. Du coup, le fan rapplique et rameute ses potes : « Hé t’as vu ? Le nouvel album de Thy Catafalque (au hasard) est sorti. Putain, ils disent que c’est l’album de la maturité ! La vache ! »
Je ne sais pas si Season of Mist a fait le coup, mais pour une fois, ils pourraient sans qu’on les accuse de nous bourrer le mou. Parce que c’est VRAI. Meta, septième album de Thy Catafalque, cinquième de l’ère (black) metal expérimental du groupe, EST VRAIMENT l’album de la maturité. Et un véritable chef-d’oeuvre aussi, même si de prime abord, il paraît moins sexy que ses prédécesseurs. Là où Róka Hasa Rádió, par exemple, rentre en trombe, d’une manière très agressive, Meta commence en douceur avec "Uránia", un titre heavy et mélancolique, assez similaire à "Őszi Varázslók", pour rester dans les comparaisons avec le même album. Cette retenue dans le début des hostilités est-il le signe que Tamás Kátai, seul maître à bord depuis Rengeteg, se ternit avec les ans et va nous servir une soupe fade ? Clairement : « nem » - ça veut dire « non » en hongrois, j’ai fait des recherches. Au contraire, tel le bon vin, Monsieur Catafalque s’améliore au fil des ans et nous montre toute l’étendue de son talent tout au long de l’album, utilisant avec une précision époustouflante toute la palette de sonorités déjà connues, vraies marque de fabrique de l’univers du créateur magyar : riffs épais et puissants, claviers égrenant des mélodies évoquant souvent les contes et contines de notre enfance, voix féminines, chant clair... Si Meta donne moins dans la musique figurative que Sgùrr, il n’est pas pour autant dépourvu d’images musicales, et l’auditeur connaissant l’univers de Tamás y replongera avec grand plaisir et y constatera deux choses. D’une part, le fait que si, par le passé, certains titres majestueux faisaient de l’ombre à d’autres chansons, un poil moins inspirées – et pas seulement sur Rengeteg, l’album le moins bandant du groupe – ici, tous les titres brillent d’un même éclat.
Le traditionnel morceau de bravoure de vingt minutes qu’est "Malmok Járnak" n’éclipse en rien les autres titres : on peut savourer son rythme paisible et sa beauté sans craindre le retour dans le monde des pièces plus courtes. D’autre part, si Meta ne révolutionne pas le monde du Catafalque, l’album a néanmoins sa couleur propre : plus posé – seuls le virevoltant "10^(-20) Ångström" et surtout le surprenant "Ixión Düün" montrent la facette vraiment agressive du groupe – , il propose une musique encore plus mélancolique que d’habitude, tirant assez souvent du côté du doom. Phrasés de guitare nostalgiques, utilisation plus émotionnelle des claviers, Tamás rappelle ici qu’il a été élevé au son de Paradise Lost and co, et si on ne peut parler de musique véritablement doom metal, un morceau comme "Mezolit" doit bien être classé dans cette catégorie. Meta nous ménage également quelques surprises : "Ixión Düün", son démarrage type metal épique, son côté barré et ses solos de guitare caractéristiques du heavy de nos aïeux, en est une. "Vonatút Az Éjszakában" en est une autre. Tel le Samael jazzy de "Being", Thy Catafalque nous la joue Dirty Shirt l’espace d’un instant et devrait se mettre définitivement à dos tout amateur de classicisme black metal tombant sur ce titre presque guilleret. L’œuvre se referme avec des claviers digne de "La Fête Triste" de Trisomie 21 et l’émotion qui va avec, et on reste un peu pantois : ce qui commençait comme un album discret, prudent, se terrmine comme le meilleur travail d’un Tamás absolument décomplexé (rien à voir avec Copé, je vous rassure).
Meta est à Thy Catafalque ce que Riitiir est à Enslaved, un aboutissement. Tamás, au sommet de son art, y fait la pluie et le beau temps, contrôle le rythme et la couleur. S’il partage avec Rengeteg son format assez classique, Meta est incomparablement meilleur, émerveille par toute la gamme musicale proposée et émeut grâce à une touche doom inattendue et excellemment intégrée. Fantastique.