Si Bergtatt évoquait les fjords, taillés de manière abrupte par le temps, Kveldsanger évoquerait plutôt une forêt et ses habitants. Plus tranquille ? Il l'est sans doute. Finis les aspects black metal du précédent opus, la bande de Garm nous fait voyager par l'intermédiaire de guitares acoustiques et d'instruments tels que le violon et la flûte, le tout sublimé par des chœurs de toute beauté et des passages a cappella de grande classe. Mais en fait, n'est-ce pas la marque de fabrique du groupe finalement que cette classe ?
Il est évident qu'à sa sortie, Kveldssanger a dû en étonner plus d'un. Il y a bien des similitudes avec Bergtatt, que ça soit dans le format (un album court, 35 minutes), dans l'atmosphère (sombre, mélancolique, pouvait-il en être autrement ?), et dans l'aspect folk du tout. Mais globalement, l'orientation évolue, le second volet de la trilogie Black Metal ne contient aucune trace de black metal... Un paradoxe ? Pas si sûr. Car c'est l'apparence de cette trilogie qui a tout du black metal, sombre et malsaine, et Kveldssanger s'inscrit directement dans cette lignée. Personne ne s'en plaindra, ils ont pris le meilleur de leur côté folk-acoustique pour en faire un album. Et laisser le meilleur de leur côté black metal pour en faire un autre album par la suite. La démarche est simple, mais toutefois risquée : si le groupe se contente de balancer les mêmes ingrédients développés avant pour en faire un plat soi-disant nouveau, ça ne passera pas inaperçu.
Mais il n'en est rien, la faculté du groupe à se renouveler, à sortir quelque chose de nouveau est clairement affichée. Et ça paraît simple tout ça, si l'on excepte les chœurs, techniquement il n'y a rien d'extravagant, mais tout prend avec une facilité déconcertante. Prenons par exemple les incursions des violons et violoncelles : elles sont finement distillées, pas question de se laisser aller dans le foisonnement dégoulinant et facile. Même exemple pour la flûte (pour le coup entre les mains du batteur AirawikiaR). L'abondance est plutôt à chercher dans les chœurs, profonds et puissants. Une chanson leur est carrément allouée ("A Cappella", comme vous vous en doutez).
Tous ces instruments simples finissent par se lier et créer une richesse sonore étonnante (mention spéciale à la guitare d'Håvard Jørgensen). L’innovation qui en sort est palpable, car les thèmes ressortis ici ont été travaillés et retravaillés pour en arriver à ce résultat final. C’est particulièrement les trois derniers titres de l’album qui bénéficient le plus de ce travail, le dernier étant une réussite particulière, du haut de sept minutes, le plus long (et le meilleur) de l’album. Car une fois de plus, Ulver nous a concocté un album dépassant de peu la demi-heure, son plus gros défaut sans doute.
Tant pis si on reproche une fois de plus à Ulver de ne pas étoffer un peu plus l'objet final en terme de durée, la présence peut-être trop appuyée des chœurs (là c'est tatillon), ou encore quelques titres plus dispensables ("Nattleite" notamment) mais il n'en reste pas moins que Kveldssanger a tout de l'album qui a inspiré les Tenhi et Empyrium (entre autres) : mélancolique, folk, sombre et réussi. Qui dit mieux ?