Jethro Tull commençait sérieusement à tourner autour du pot vers la fin des années 70, et plus particulièrement sur Heavy Horses. En même temps, il ne faut pas oublier que ce groupe a été très productif puisqu'entre 1968 et 1980, il ne s'écoulait pas une année sans voir un album de Jethro Tull débouler dans les bacs!!! Difficile, avec un tel rythme, d'enregistrer un album phare à tous les coups ou de ne pas tourner en rond au bout d'un moment. Après leur chef-d'oeuvre Songs From The Wood, Jethro Tull se contente d'appliquer, à peu de choses près, la même recette rock & folk pour Heavy Horses. C'était bien la première fois d'ailleurs qu'un album du groupe ressemble autant à son prédécesseur! Moins grandiloquent et théâtral, plus pragmatique, les paroles de Heavy Horses sont basées sur des faits actuels et non plus historiques. Ian Anderson dénonce l'évolution de l'agriculture anglaise dans les années 70 et la perte de ses valeurs traditionnelles, crévindiou!
Heavy Horses n'est pas aussi riche que Songs From The Wood, à quelques exceptions près comme sur l'épique "Heavy Horses", sur lequel le claviériste David Palmer se laisse aller à quelques arrangements pompeux, ce qui deviendra particulièrement étouffant sur l'album suivant, Stormwatch. Heavy Horses est le genre d'album sympathique et sans surprise, avec ses hauts et ses bas. Parmi les morceaux folk se démarquent "Rover" et "One Brown Mouse", tous les deux dignes de figurer sur Songs From The Wood car plus fouillés et moins basiques que les autres. Sur "Rover", les superbes harmonies crées par la guitare électrique de Martin Barre se marient parfaitement avec la guitare acoustique. "Moths" et ses mélodies pop est par contre complètement nunuche. Pourtant son intro folk laissait espérer quelque chose de bien. Idem pour "Acres Wild" et "...And The Mouse Police Never Sleeps" qui démarrent tous les deux sur les chapeaux de roue, mais la suite lasse assez vite, la faute à l'absence de refrains accrocheurs.
"No Lullaby" est le titre heavy de l'album, une facette que Jethro Tull a toujours plus ou moins mise en valeur sur chacun de ses albums. L'alternance entre passages calmes et heavy en fait une pièce intéressante qui se démarque du lot, même si les différents passages s'enchaînent de façon bizarre, dans un style un peu composé à la va-vite on va dire. L'autre titre épique, "Heavy Horses", a de bonnes idées au piano, le violoniste Darryl Way apparait sur ce titre pour y placer un solo. Mais pareil, la façon qu'a le groupe d'enchaîner ses idées fait un peu "copier-coller", vraiment pas naturelle, genre "Ben tiens, ce refrain là, on ne savait pas où le placer donc on s'est dit qu'il sonnerait bien en l'enchaînant avec cette partie, tant qu'à faire, autant l'utiliser". Voilà en gros la démarche de composition du Tull, enfin j'espère me tromper. "Journeyman" est un rock pas mauvais à la base, mais bon sang, ce genre de chanson, ne l'a t-on pas déjà entendu cinquante mille fois sur les autres albums?
La manière dont est mixé le chant de Ian Anderson est assez bizarre, peut-être un peu trop placé en avant, on entend en détail toutes ses intonations, avec des "sssssssssss" irritants par moments. La moitié des chansons, avouons le, ne vole pas bien haut et on attend désespérément qu'il se passe quelque chose. Heavy Horses est décevant à plus d'un titre mais le niveau reste correct et devrait faire plaisir aux fans de Jethro Tull, soucieux d'ingurgiter leur dose annuelle de folk-rock teinté de prog. Car chez Jethro Tull, on est malin, même sur les albums les moins bons, le groupe s'arrange toujours pour que ce ne soit pas mauvais pour autant. Moyen, peut-être, mais le mot mauvais ne semble pas faire partie de leur vocabulaire. Ce sont ces mêmes fans qui, plus tard, crieront au scandale lorsque le groupe tentera d'élargir son répertoire et de s'ouvrir à de nouvelles sonorités sur Stormwatch et A.
La version remasterisée de Heavy Horses, parue en 2003, contient deux inédits de bonne tenue ("Living In These Hard Times" et "Broadford Bazaar"), dans la lignée folk du reste de l'album.