« Y sont pas prêts à mourir pour le métal. Tas de cons. »
Tel fut le constat amer que Joey DeMaio dressa un beau soir de 1984 au sujet de ses compatriotes. Il fallait bien s'y résoudre : malgré un succès grandissant en Europe Manowar ne parvenait pas à percer dans son pays d'origine. Puis vint l'idée de génie : puisque le heavy marchait du tonnerre en Angleterre où Maiden vivait son âge d'or, on allait faire un album pour les Anglais. Genre eux ce serait des vrais métalleux. Mwaha !
Malgré leur réputation de répétition chronique, il faut bien avouer que Manowar a accouché de trois premiers albums très différents. A l'opposé des morceaux épiques, lents et interminables d'Into Glory Ride, Hail To England aligne principalement des titres de heavy enlevés et directs, et aucun n'atteint les 4'30. Le son a également fait de gros progrès, et si la batterie a toujours l'ascendant sur les guitares ces dernières sont loin d'être ridicules. Le jeu de Scott Colombus reste parfois approximatif (écoutez la double dans l'intro en accélération de "Kill With Power") mais il s'est déjà grandement amélioré. En tous cas cet album permet dès les premiers instants de renouer avec un Manowar qu'on croyait perdu après Into Glory Ride, celui capable de pondre des tubes heavy légendaires et addictifs. "Blood of My Enemies" est en effet un titre culte absolu, un de ceux qui ont marqué l'histoire du genre à jamais. Le riff est implacable dans sa manière de faire partir immédiatement la tête en rythme, la mélodie du chant sur les couplets marque l'auditeur au fer rouge et les chœurs du refrain prouvent que quand Manowar n'en fait pas des tonnes il peuvent être le meilleur groupe de heavy lyrique du monde. C'est une boucherie. Et ô joie : il n'y a pas qu'un titre légendaire sur cet album, il y en a trois !
Tuerie suivante : "Kill With Power". Le premier titre presque speed de la carrière du groupe est un autre qu'on ne peut s'ôter de la tête, en grande partie grâce à un enchaînement d'accords totalement mortel. La manière dont la ligne de chant d'Adams se pose sur la deuxième partie du couplet est exemplaire : si tous les chanteurs savaient poser une mélodie sur un riff de cette manière le monde du heavy-metal serait uniquement rempli de groupes ultimes. En plus d'un esprit guerrier et conquérant sur tout le titre on y trouve un refrain inimitable dont l'efficacité peut être mesurée n'importe quand : trouvez une bande de chevelus, criez « Kill with power ! » et on vous répondra « Die, die! ». C'est comme ça. Les chevelus en question auront d'ailleurs la larme à l'oeil si vous leur passez "Army of the Immortals" dans la foulée : non seulement le riff est de nouveau fédérateur comme pas possible mais surtout c'est LEUR chanson, vous comprenez. En plus d'être un tube heavy-metal de plus, ce titre pose la démagogie Manowaresque avec brio : leurs fans sont uniques car ils sont le meilleur groupe du monde, et ils sont le meilleur groupe du monde car leurs fans sont uniques. Fallait le trouver, et comme ça fonctionne parfaitement depuis des décennies on ne peut que leur tirer son chapeau.
Entre ces trois chansons plus kvlt que kvlt se trouvent deux titres d'honnête fabrique : "Each Dawn I Die" propose un riff lourdingue dans ses couplets mais sa monotonie est judicieusement brisée par les « haHAAAAA » d'Adams. De plus la montée vers le refrain relance bien la machine grâce aux glissandos de basse et au chant lyrique donc ça passe. "Hail To England" est - quel hasard ! - très NWOBHM dans l'esprit, un peu plate dans les couplets car on sent que Manowar n'evolue pas dans un genre qui lui est familier... mais une fois encore l'enchaînement prérefrain / refrain rattrape la sauce grâce à la puissance lyrique déployée. Par contre le drame c'est "Black Arrows", un instrumental innommable de shred tellement laid que se l'enfiler entièrement est un supplice. En plus de confirmer que DeMaio est autant bassiste que je suis boucher-charcutier (c'est un guitariste qui joue sur quatre cordes), ce truc donne l'impression d'avoir été composé en même temps qu'il a été joué. Aucune mélodie, juste du bruit à grande vitesse, ça relève de la torture. Le titre final "Bridge of Death" renoue quant à lui avec la tradition d'Into Glory ride : long, lent, épique, un peu chiant. L'intro mélodique est fort bonne et le chant d'Adams impressionnant comme il se doit, mais on ne peut pas dire que tout ça aille bien loin.
Hail To England était bien parti pour être un album culte et absolu, mais le nombre limité de chansons fait qu'on s'attarde plus sur chacune... et qu'on ne peut que constater qu'autour des trois poutreries qui l'articulent le reste ne fait pas le poids. Ce n'est jamais mauvais bien sûr (à part "Black Arrows" qui est très argh) mais le tout reste un peu trop hétérogène pour être célébré en tant qu'album. Quoi qu'il en soit, ça reste du bon !