Dimanche 24 janvier, la bombe est lâchée : Scorpions annonce qu'après la tournée mondiale qui suivra la sortie de son 17ème album Sting In The Tail, le groupe raccrochera définitivement les gants. Stupeur dans le Landerneau du hard / metal, peu habitué à voir des groupes mettre un terme à leur carrière de leur plein gré, sans engueulades ni effusions de sang. Et alors que chaque fan ressasse déjà avec une pointe de nostalgie ses propres souvenirs, on en oublierait presque l'événement du moment : précisément la sortie dudit album !
Le mystérieux titre du précédent album de Scorpions, Humanity: Hour 1, laissait présager la réalisation au moins d'une Hour 2. Ce ne sera pas le cas, puisque les Allemands ont décidé de ne pas réitérer l'expérience avec le sulfureux Desmond Child, jetant cette fois leur dévolu sur la paire suédoise Martin Hansen / Mikael Nord Andersson. Pas complètement des inconnus d'ailleurs, puisqu'il s'agit du tandem qui avait composé "The Game of Life", l'un des tous meilleurs titres de Humanity: Hour 1. Et les deux gaillards n'ont pas perdu la main, puisque c'est également eux qui signent "Raised on Rock", l'excellent opener de Sting In The Tail. S'appuyant sur un refrain de la race de ceux qui vous trottent dans la tête toute la journée et qui collent une pêche d'enfer, ce titre joue à fond la carte du regard dans le rétro : I was born in a hurricane, Jabs qui dépoussière sa talk box… Rien de bien neuf sous le soleil (à vrai dire, on pense très fort à "Tease Me Please Me"), mais tout cela est foutrement efficace.
Pour cet ultime album, Scorpions a joué la carte du rassemblement : plutôt que de donner une couleur particulière à l'album au risque de diviser les fans (cf. Humanity: Hour 1) et de partir sur une note controversée, Schenker and co ont choisi de faire une synthèse des différents styles développés au cours de leur longue carrière. Pêle-mêle, on retrouve sur ce nouvel album du hard rock à la fois pêchu et mélodique, devenu au fil des années le principal fonds de commerce du groupe ("Raised on Rock", "Turn You On"), avec parfois quelques relents hard US ("Slave Me" voire "Rock Zone"), mais aussi du hard plus mordant. Pendant la promo, le groupe nous avait vendu un retour au feeling des albums des 80's : on avait déjà entendu ça avant Unbreakable sans que cela ne soit vraiment le cas dans les faits, mais cette fois, à l'écoute de "Sting in the Tail" et son gimmick de guitare rugissant, ou du riff tranchant de "No Limit", reconnaissons que Scorpions ne nous a pas complètement joué du pipeau sur ce coup là.
Que serait un album de Scorpions sans ballades ? Une fois de plus, le groupe a eu la main lourde avec pas moins de 4 sur les 12 titres de l'album. Côté pures ballades, on passera rapidement sur "Lorelei", sorte de suite logique et peu convaincante de la déjà pas bien fameuse "Send Me an Angel". "Sly" (petit clin d'oeil à "Still Loving You") est déjà plus intéressante : pour n'importe quel autre groupe, ce serait une ballade assez lambda, mais l'extraordinaire Klaus Meine parvient à insuffler une vraie intensité dramatique dans un refrain poignant. Avec "The Good Die Young", on est déjà un niveau nettement supérieur. Sur les couplets de cette fausse ballade, Klaus Meine affiche un côté grave peu courant chez lui, en rapport avec le thème. Il est soutenu par Tarja Turunen, dont la présence pouvait laisser sceptique au départ, mais dont les vocalises remplacent avantageusement une ligne de claviers. Quand les deux finissent par unir leurs voix, cela nous donne un refrain très émouvant, un des points d'orgue de l'album.
Et puis il y le cas "The Best Is Yet to Come", qui restera en principe comme la dernière chanson enregistrée par Scorpions. Pour cette occasion spéciale, les Allemands sont restés fidèles à eux-mêmes, bien que cette chanson soit une nouvelle fois signée Hansen / Andersson (ce qui, à titre personnel, me chiffonne un peu). Pas de chanson larmoyante, pas d'adieux déchirants, mais une jolie ballade pop pleine d'optimisme, comme ils en ont toujours eu le secret, dans la lignée de "Under the Same Sun" ou "Winds of Change". Malgré le côté plutôt enjoué du titre, difficile tout de même ne pas avoir un pincement au cœur quand Klaus Meine nous balance un dernier « Rock n' Roll !» ... Sans être un titre génialissime, cette chanson offre une belle porte de sortie à Scorpions, à l'image de l'album dans sa globalité. Sting In The Tail se montre pleinement à la hauteur de l'enjeu, qui va s'imposer à tous les mastodontes de la sphère hard / heavy dans les prochaines années : permettre au groupe de se retirer la tête haute, avec classe et dignité.
Sting In The Tail n'est peut-être pas l'album « tellement bon qu'il s'imposait de lui-même comme la fin idéale », comme l'ont plus ou moins affirmé Schenker et Meine. La première moitié a beau être de très haut niveau et la seconde tenir encore très bien la route, il manque peut-être un petit grain de folie ou un titre capable de s'imposer comme un véritable classique. Mais à l'évidence, il y a bien des jeunes groupes qui rêveraient de se montrer à la hauteur de ce que ces papys sont encore capables d'accomplir presque 40 ans après leurs débuts discographiques. Il ne reste donc plus qu'une chose à dire : chapeau bas Messieurs, et merci pour tout.