Napalm Death. Au-delà des étiquettes galvaudées « pionniers du grindcore » ou « légendes vivantes », le nom du groupe évoque encore systématiquement chez le métalleux lambda la férocité à l’état pur. C’est passer sous silence les expérimentations que les Anglais ont conduites sur 3 ou 4 albums vers la fin des années 90, pour revenir depuis à la brutalité de leurs jeunes années et qui commençait dangereusement à virer au rabâchage bête et méchant. Heureusement, Utilitarian arrive, débordant de sang neuf et d’idées fraîches.
Certes, l’illustration de la pochette laisse présager une continuité dans le retour aux sources stérile. Certes, le titre fait craindre une simplicité tirant sur le manque de recherche ou d’idées. Mais les premières secondes réservent les premières surprises : arpège, batterie tout en retenue, tempo lent… Cette intro porte bien son titre de "Circumspect", et c’est même à nous auditeurs d’être circonspect, prudents à l’écoute de ce signe avant-coureur… Confirmation dès "Errors in the Signals" et "Everyday Pox" : Napalm Death a décidé d’enrichir sérieusement et de rendre plus accessible son grindcore punk, qu’il traînait depuis quelques albums, à grands coups de changements de tempos – entre accélérations vertigineuses et ralentissements déstabilisants, de riffs allégés et donc de chansons aérées, de bizarreries en tous genres qui attirent l’attention – comme ces espèces de hurlements stridents mi-humains mi-synthétiques - et nous évitent de nous noyer dans un déferlement de blasts. Que les fidèles se rassurent : être plus accessibles ne signifie pas vendre son âme au Dieu Soupe et Shane et sa bande n’en sont pas encore à décrocher leur inscription à l’Eurovision 2012 - la sauvagerie façon « Birmingham’s touch » est toujours présente. "Think Tank Trials" suffit à lui seul à nous le rappeler ! Mais les riffs sont largement plus agréables à se prendre en pleine face, plus incisifs. Et la variété des tempos et des ambiances permet de les apprécier / subir d’autant plus. Même ce vieux routard de Danny Herrera nous sort des plans pas croyables de son vieux sac poussiéreux. En bref on revient à l’époque du fantastique Enemy of the Music Business avec une base saine, une production impeccable et un paquet de bonnes trouvailles en plus.
Le travail sur le chant - bon d’accord, « travail » est un peu exagéré ; « chant » est un tantinet poussé… Disons « les recherches sur les vocalises » sont également surprenantes. Évidemment, entendu de loin, ça éructe à gorge déployée dans tous les sens et même Mitch le petit hargneux n’est pas en reste (voir à quel point il semble se déchirer tout l’appareil vocal et respiratoire sur "The Wolf I Feed" ou "Order of Magnitude"). Bien sûr, Napalm reste Napalm et c’est comme ça qu’on l’aime. Mais certaines (ré)expérimentations sont les bienvenues, comme ce bridge sur "The Wolf I Feed" où Barney revêt sa voix claire et, Mesdames et Messieurs, CHANTE ! OUI, BARNEY GREENWAY CHANTE ! Comme il s’y était essayé assez maladroitement en1998 sur Words From the Exit Wound.On croirait entendre Burton C. Bell ! Ou comme ces chœurs inquiétants sur "Fallon their Swords" qui font penser à des invocations de messe noire… Et rebelote sur "Blank Look About Face" et "Leper Colony" ! Voilà vraiment qui semble être la marque de fabrique de cet album ! On savourera, dans un autre genre, ce même "Blank Look About Face", scandé comme des coups de machette, et qui doit méchamment friter en live… Parailleurs, et pour la première fois peut-être sur album, on peut identifier l’impossible accent de la rue de Barney qui parle « sans masque » sur l’intro de "Nom de Guerre". En somme, vous l’aurez compris, Utilitarian ne manque ni musicalement ni vocalement de ces petites pépites qui donnent du relief, du piquant, de la couleur à un album, même quand cet album est le petit dernier pondu par ces vieux briscards élevés aux hormones de mammouth épileptique que sont Napalm Death.
Bravo les gars ! La quarantaine bien tassée ne vous a pas assagi ! Je suis de nouveau avec vous. La furie Napalm Death, celle qui en vient à faire sourire, tant elle est déjantée et incontrôlable, est toujours bien de ce monde.