Tout les albums d'Anthrax sont enfin disponibles dans notre base de données : en voilà une excellente nouvelle. C'est d'ailleurs l'occasion de se pencher sur le hardcore. En effet, si le punk était un coup marketing, il est acquis que les successeurs ont gommé le fait que les Sex Pistols ont été l'objet d'une opération de blé : Sid Vicious était invivable et dut apprendre à jouer seul de la basse. Mais le fait est que le hard reste une musique subversive et que le punk en est son expression la plus radicale, et pour cela, il ne sera pas question de leur en vouloir. Cela se ressent dans la musique comme dans les textes, et c'est bien établi aujourd'hui. Cependant, en plus de la contestation sociale, le hardcore est un des seuls genres à proposer un discours écolo-végétarien, se démarquant du satanisme des thrashers les plus radicaux et des histoires de sexe ou de science fiction des autres.
Quel rapport avec Napalm Death, maitre du grind aux côtés de Repulsion et Terrorizer ? Simple : d'abord, Lee Dorian, il faut le savoir, était de toutes les manifestations de Greenpeace. Ensuite, le groupe en lui-même a ses liens avec des groupes de végétariens comme Carcass et certains groupes de hardcore comme Agnostic Front, semble-t-il. Et dès son arrivée, il est certains que le gang de Birmingham (fondé en 1981), fan de Chaos UK, Amebix, Discharge et Joy Division, trouva un hurleur idéal pour transmettre leur dégout de la société occidentale et des années Thatcher. Mais avant, c'était surtout le groupe de celui qui n'avait pas encore fondé Godflesh et qui venait de recruter Mick Harris : Justin Broadrick. Tout ce beau monde, autour de groupes comme Larm, Heresy, Concrete Sox ou encore Electro Hippies (le premier groupe de Jeff Walker), refuse le commercial et admire D.R.I, Siege et Black Flag. Alors qu'ils ont fait pas mal de concerts, les rythmiques s'accélèrent, et les démos se multiplient, mettant les fanzines punk et même thrash en haleine, jusqu'à ce que Scum sorte. L'enregistrement se déroula en deux parties : l'une avec le line-up du temps punk en 1986, et l'autre avec la partie metal en 1987 (Bill Steer s'invite avec un autre larron, Jim Whitley, qui fera tout de même des concerts avec eux). Balancé par Earache, qui commença à devenir un vrai label, il alla couper en deux le public speed-core, dont certains le vécurent comme une horrible déception, certains n'y voyant qu'une « succession de cris de singe en rut avec le bruit de décollage d'un supersonique ».
Ainsi, c'est sûr que Scum ne pouvait faire en aucun cas l'objet de paris teintés de fric, car ce premier album est radicalement punk. Tout comme Carcass sur leur premier méfait, Napalm Death voulait exprimer quelque chose. Ce quelque chose, c'est... le pire (ça se sent surtout dans le titre le plus court : "You Suffer"). Pas d'histoire, pas de chichis ni d'artifices : Napalm Death a la haine et est aussi moche, méchant, sale et grossier qu'un film d'Alan Clarke (dont le premier long-métrage, d'ailleurs, porte le même titre). Les 28 titres transpirent la misère sociale, la colère et le ressentiment. Avec des morceaux comme "The Kill", "Born on your Knees" ou encore la majeure partie de la face B, Mick Harris installe définitivement le blast beat, consistant en une rythmique infernale sur la caisse claire, avec un son horrible (dont les larsens laissent une ambiance dangereuse, comme sur "Scum") et des riffs incroyablement violents (il y a un peu de Scott Ian). Ça crache, ça cogne et tout le punk installé depuis 1977 est concentré, pour exploser à la face du monde. D'ailleurs, cela se retrouve dans les deux chants, où Nik et Lee s'arrachent les cordes vocales sur des paroles qui pourraient tenir sur une pancarte de manif'.
Parlons aussi des deux faces, qui ne sont identiques qu'en apparence. Si les terrifiants "Instinct of Survival" (sûrement le titre plus plus puissant du disque) et "Siege of Power" (qui réussit l'exploit d'être un morceau de grind avoisinant les quatre minutes) montrent un punk ultra-rapide proche de Concrete Sox, les morceaux comme "Deceiver" (cover de Repulsion déguisé), "Divine Death" ou "M.A.D" sont presque le prototype, voir le brouillon du futur album, From Enslavement to Obliteration. La batterie est un peu moins bordélique, les titres plus courts, et Dorian commençait déjà à vociférer comme un dingue. En plus, ce n'est que parce qu'ils ont expédié l'enregistrement en une nuit que le son peut rendre l'écoute ennuyeuse. En live et sur les Peel Sessions, ça va encore plus vite, et le son est meilleur ! Mais pour revenir aux deux faces, la seule ressemblance se retrouve dans la basse, affreusement saturée, qui confère un côté très malsain au grind du groupe. Dans les deux cas, ce premier disque constitue presque l'incarnation de l'esprit Do It Yourself et du No Future. L'intro ("Multinational Corporations") résume cette volonté de tout faire dans l'urgence, comme si quelque chose de dangereux allait arriver et que cet enregistrement était celui de la fin du monde. Ensuite, l'aspect No Future semble concerner ceux qui voudraient aller plus loin. Cela leur sera impossible : plus horrible en restant audible dans le grind, ça n'existe pas (même si Steer et Walker étaient jeunes aussi dans Carcass et que Seth Putnam était cool).
Sans atteindre la folie ultime (où il y gagne en maitrise sans trop perdre en souffre) du suivant et des fameuses Peel Sessions de 87-88, Scum reste un pilier du grind et de la fusion entre le punk et le metal. N'importe quel défenseur jusqu'au boutiste de la mélodie pointera du doigt cette bombe sale comme outil idéal pour les terroristes du hard (ou affirmera avec ironie que l'album porte bien son nom). Mais il faut reconnaitre qu'avec Slayer et son Reign In Blood, une limite est atteinte dans la débauche de décibels et les horreurs bacchanales (Phil Pestilence inside), ce qui est la raison d'être du hard rock, ici dans sa version la plus sauvage, pas fine pour un sou. Allez, si certains ont le bruit mal produit et les voix de cancéreux en horreur, essayez un peu, car Carcass, lui, a franchi la limite de l'inaudible avec Reek of Putrefaction. Par contre, le mieux sera de laisser vos préjugés rationnels au vestiaire. Après tout, c'est dans le pire que Scum de Napalm Death s'est révélé être le meilleur.