Mass IIII fut bouleversant, intense émotionnellement et très difficile à supporter psychologiquement. Qu’en est-il de cette 5ème masse ? Plus dense ? Plus triste ? Plus blessante ? Plus terrifiante ? Plus tout, en fait ? Difficile à dire, mais Amenra ne déçoit pas, loin de là. La douleur et le néant accouplés dans les précédents opus ont enfin mis au monde leur rejeton.
Ne criez pas au renouveau, Amenra reste Amenra et c’est vraiment tant mieux. Après la claque que fut la 4ème masse, les belges en voulaient plus. Le concept de douleur et de vide se devait d’être poussé au paroxysme, où chaque note provoque une émotion, où chaque passage atmosphérique impose douceur tortueuse et où chaque moment lourd se doit de hérisser les poils et de faire apparaître quelques gouttes dans le coin de l’œil. Amenra ne fait plus de la musique, Amenra fait de l’émotion, Amenra modèle tels de la pâte à modeler nos sentiments et notre corps pour en faire ce qu’il veut. C’est terrorisant avouez-le, ça paraît franchement exagéré non ? Et bien, c’est pourtant la triste vérité. Se sentir manipulé d’une telle manière devrait être interdit, Amenra n’en a que faire des limites. Un sens de la mélodie plus noir que le fond d’une caverne descendant six pieds sous terre, une capacité à alterner passages lourds et étouffants, et surtout une voix qui vient du cœur, ou du moins de ce qu’il en reste, Amenra maîtrise le post-hardcore lourdement assaisonné de sludge et de doom, cette musique que votre serviteur vénère.
Cette 5ème masse bénéficie, comme le précédent opus, d’une production remarquable : guitares pesantes, batterie puissante mais naturelle et vocaux placés juste où il faut… En arrière mais pas trop. Remarquable comme cette cover mystérieuse, sombre et glauque, une grotte peut-être ? Un endroit oublié de l’esprit humain, là où se cachent nos souvenirs les plus douloureux ? Très certainement. Mort né et enterré… La première piste n’est pas joviale. Commençant par quelques notes timides et quelques touches de toms menaçantes, elle est brutale, cérébralement parlant. Dès que ce bon vieux Colin nous fait profiter de sa belle voix, tout part à vau-l'eau, les guitares prennent un tout autre sens… S’en suit un ralentissement tellurique et terrifiant dont les effets sur le corps humain sont remarquables : peur, désespoir et dépression. Tout est là. On apprécie particulièrement ce long passage atmosphérique agrémenté de la voix claire titubante et parlée du frontman qui a le chic d’augmenter la fréquence cardiaque jusqu’à l’apogée de la fascination : le dernier passage lourd et la voix désespérée, le cœur s’arrête de battre pendant quelques instants et des sentiments divers nous parcourent l’âme. La colère, la tristesse et la peur.
"Boden" se veut similaire à la précédente tuerie, mais peut-être plus vicieux. Il met plus de temps à exploser, pour notre plus grand plaisir bien évidemment. L’effet est saisissant et les compositions absolument magnifiques, jouissants d’une efficacité made in Amenra, fidèle à l’école sludge. C’est là que "A mon âme" se dévoile… Timide, voyageur, ambiant et évoquant moult paysages en cendres. Oui, jusqu’à ce que l’éclatement « amenramien » fasse son apparition, ah mais non, c’était une ruse ! Ah les fils de p*** ! Les gars sont vicieux, jouent avec nos émotions comme un gosse joue avec ses figurines articulées, et c’est sur ce morceau que la voix se fait horriblement triste et apeurée. Imaginez une mère à qui on retire son enfant pour le faire mourir dans une grotte sombre où la lumière et Dieu refusent de mettre les pieds, imaginez son cri à présent. "Nowena / 9.10" termine cet album plus court que le précédent. Surprise on a droit à entendre Colin chanter ! Bon c’est pas le meilleur chanteur dispo’ mais c’est pas mal, d’autant plus que le paroxysme de tout ce qui s’est fait précédemment apparaît. LE break intensément noir et brutal, avec en prime la voix de Neurosis qui beugle certes moins puissamment mais qui apporte une nuance qui fait que ce titre est LE titre de l’album.
Je refuse de conclure, j’en veux plus. Mais il faudra attendre malheureusement. Mass V est magistral, puissant et inhumain. Une expérience unique, un genre de Cult of Luna noir et distillé. Du sludge avant tout… Mais venu d’un autre monde, un monde façonné par Amenra, un monde sombre et apocalyptique. Ne passez pas à côté d’un tel chef d’œuvre, je ne peux plus vivre sans Amenra.