Exodus -
Pleasures Of The Flesh
Que faire lorsqu’on a sorti un premier album exceptionnel, mais que l’on ne dispose pas du génie qui permet de rééditer cette performance sur commande ? Gary Holt a sûrement ruminé cette question durant les deux ans qui séparent l’extraordinaire Bonded By Blood de son successeur Pleasures Of The Flesh. Tout ce temps pour arriver à cette sage conclusion : il valait mieux courageusement évoluer plutôt que de prêter le flanc à la critique en tentant vainement un Bonded bis.
Et pourtant, la critique tombera quand même tel un couperet implacable sur ce Pleasures Of The Flesh, le réduisant immédiatement au rang d’album mineur. C’est aller un peu vite en besogne. Bien sûr, ceux qui attendaient une nouvelle décharge de folie furieuse en seront pour leurs frais, puisque cet opus se veut moins nerveux et plus maîtrisé, un peu plus lent aussi. Mais plutôt que de blâmer le groupe, saluons au contraire sa lucidité : à quoi bon vouloir recréer une rage innée, démarche vouée à l’échec ? Preuve en est, les morceaux les plus foncièrement thrash de l’album. En effet, pas un ne peut sérieusement rivaliser avec "A Lesson In Violence" ou encore "Piranha".
Première raison : l'inspiration au niveau des riffs. Sur ce point, c'est le jour et la nuit avec Bonded By Blood. Les riffs mitraillettes tranchants comme des lames de rasoir ont laissé place à des riffs bateau pas franchement terribles. Parfois ça passe, comme sur "Parasite" et "Choose Your Weapon" qui s'en sortent honorablement, d'autres fois ça casse comme sur un "Deranged" aux relents de mauvais Anthrax. Deuxième raison : un son à vomir. La production est ratée, comme cette batterie qui sonne comme une boîte à rythme new wave digne du Indochine des 80's. Le mixage n'est guère mieux : la guitare rythmique pointe parfois aux abonnés absents, et le tout semble parfois complètement désynchronisé, comme sur l'abominable "Faster Than You’ll Ever Live To Be" où Tom Hunting a l'air complètement à côté de la plaque. Pour résumer, faisons simple : niveau thrash de base, seul le long morceau titre est une franche réussite, alternant passages complexes et accélérations furibardes.
Alors au contraire, apprécions ces morceaux plus heavy où Exodus se montre absolument irrésistible. C'est dans cette voie que le groupe parvient à tirer le meilleur parti de son nouveau vocaliste, Steve « Zetro » Souza . Débauché chez Legacy (qui bientôt se rebaptisera Testament) pour remplacer l'ingérable Paul Baloff, on le sent bien plus à l'aise dans un registre plus lent, bien qu'encore une fois la prod' ne lui rende pas honneur : noyé sous la reverb', difficile de se délecter de son délicieux timbre nasillard et de son sens du groove qui feront merveille sur Fabulous Disaster. D'autant que dans ce registre, Exodus dispose de plusieurs cordes à son arc. Le gang sait s'y prendre pour sonner « evil », comme sur le sombre "Till Death Do Us Part" qui sonne parfaitement de bout en bout, de l'intro ténébreuse à la lente montée en pression finale. Il sait aussi se montrer plus léger, comme sur l'improbable "Brain Dead", sa basse vrombissante et son riff hard rock qui fait mouche. Passé l'effet de surprise de la première écoute, impossible de ne pas accompagner Souza sur le final. Un véritable hit !
Enfin, et c'est peut-être là que se trouve la plus grande surprise de cet album, Exodus sait aussi se montrer subtil, ce qu'il n'avait encore jamais vraiment montré jusque-là. Non, je ne fais pas allusion à l'interlude acoustique "30 Seconds" qui rappelle inévitablement l'intro de "No Love" sur Bonded By Blood, mais plutôt à l'étrange et néanmoins excellente intro de "Chemi-Kill". Les guitares de Holt et Hunolt s'entrelacent et semblent se renvoyer la balle, tout en laissant de l'espace à la basse de McKillop. Cela contribue à instaurer une ambiance très intrigante laissant bientôt la place à un riff abrasif et un texte écolo particulièrement véhément envers la classe politique.
À l'instar de pas mal de ses collègues dans le domaine du thrash, Exodus aura dû négocier le virage délicat d'un second album devant succéder à un véritable chef d'œuvre. Avec Pleasures Of The Flesh, l'audacieux pari du changement de cap n'aura que partiellement porté ses fruits : même avec la plus grande indulgence, difficile de voir ici un grand album de thrash. Néanmoins, on est loin de la bouse parfois décrite (ça viendra malheureusement plus tard), et on y trouve suffisamment de curiosités et surtout de bons morceaux pour y faire un agréable détour. À condition toutefois de tolérer un son très faiblard.