Aujourd'hui, je ne sais pas ce que j'ai, mais je suis d'humeur à philosopher. Le sujet du jour : une fois qu'un groupe de musique a accouché d'une œuvre, peut-il encore la modifier, la triturer, bref, en faire ce qu'il souhaite avec puisqu'il s'agit de sa création, ou cette œuvre doit-elle rester telle qu'elle était à l'époque de sa sortie, figée à jamais dans le temps ? Avec une question sous-jacente : Exodus avait-il le droit de réenregistrer Bonded By Blood avec des moyens modernes ? Ramassage des copies dans 4 heures…
Dans ce débat, 2 courants de pensée s'affrontent (ça doit bien être la première fois que j'utilise l'expression « courant de pensée » dans une chronique de thrash). Si vous faites partie de ceux qui pensent qu'un groupe a tout à fait la liberté de retravailler son œuvre à posteriori et ainsi réécrire l'Histoire, alors tant pis pour vous, passez votre chemin. Car votre serviteur fait en effet partie de vieux fans bourrus qui estiment qu'on ne doit pas toucher au passé, et que ce Let There Be Blood est un véritable crime de lèse-majesté. À la limite, va pour un petit lifting, si Exodus s'était contenté de remasteriser les bandes originales. Mais un réenregistrement complet, sûrement pas. Surtout qu'on parle de Bonded By Blood ici, un monument fondateur du thrash, pas un album de true black underground enregistré sur cassette par Joe le Clodo ! Ce procédé peut avoir une raison d'être pour apporter un peu de valeur ajoutée à une compilation (Blast From The Past de Gamma Ray ou Thrash Anthems de Destruction), voire pour consacrer un line-up « définitif » qui n'aurait pas été celui des débuts (The Greater Of 2 Evils d'Anthrax, bien amer avec le recul) ; mais dans le cadre qui nous intéresse, rien ne le justifie.
Alors quelle est la raison fumante invoquée par Gary Holt pour donner naissance à Let There Be Blood ? « Rendre hommage à feu Paul Baloff » : mais oui, cette bonne blague ! Donc si je comprends bien, pour rendre hommage à son défunt chanteur originel décédé depuis déjà 6 ans, Exodus a donc décidé de réenregistrer, 23 ans après sa sortie (les chiffres sont là pour souligner l'absence de portée symbolique « évidente »), le seul album sur lequel il officiait. Ah ben vu comme ça, on croirait plutôt qu’il veut l’effacer des tablettes ! Bref, si le Paulo entendait ça, il se retournerait sûrement dans sa tombe. Surtout que le meilleur hommage possible à son chanteur et à son album phare, Exodus l’a déjà rendu en 1997 avec le live Another Lesson In Violence, un live avec Baloff au chant reprenant 8 des 9 titres de Bonded By Blood. Autre raison évoquée, le son un peu pauvret de la version originale, mais précisions que le live en question disposait de moyens techniques déjà largement supérieurs à ceux de 1985, même s’il n’a évidemment pas la précision d’un album studio. Bref, on a beau essayer de la décortiquer, la démarche est puante ; ça tombe bien, au moins, elle est en phase avec le résultat…
Let There Be Blood est donc une relecture moderne de Bonded By Blood, avec des soli revus et corrigés et un jeu de batterie un peu plus étoffé qu’à l’origine. Et bien évidemment, le gros son de rigueur. Cette fois-ci, le rôle d'Andy Sneap est resté cantonné au mixage, Holt himself s’étant chargé lui-même des manettes. Sauf que la production, cher Gary, c’est un métier, ça ne s’improvise pas ! Le son est massif mais peu précis, avec un vrombissement digne d’une débroussailleuse. Si les mid tempos y gagnent en puissance, c’est une véritable catastrophe pour les titres les plus speed. Un comble pour un album qui garde le pied au plancher quasiment du début à la fin ! A ceux qui jugent que quelle que soit la production, un bon riff reste un bon riff, écoutez le broyage en règle du riff killer (et même du morceau entier) de "Piranha", ou de "Strike of the Beast". A pleurer ! Et puis par rapport aux albums les plus récents, le problème reste le même : Rob Dukes ! Avec sa voix de crapaud enragé vite lassante, celui-ci parvient à faire pire que Baloff, dont la prestation n'avait déjà rien de fabuleux. Et quand il essaie de chanter réellement, comme sur "And Then There Were None", c'est à mourir de rire tellement c'est mauvais…
C'est bien simple, pas un seul titre de Let There Be Blood ne sonne mieux que sur Bonded By Blood, ce qui en dit long sur l'inutilité de cet album. À l'instar du CAC 40, la carrière d'Exodus est faite de hauts et de bas, agrémentée de quelques krach spectaculaires. Celui de 1992 était impressionnant, mais celui de 2008 le surpasse de la tête et des épaules. Donc si vous avez un peu d'argent à claquer pour un album d'Exodus, jetez votre dévolu sur Bonded By Blood plutôt que sur cet infâme attrape-couillons…
Et pour finir ce coup de gueule, un petit message à l'attention des maisons de disques : se plaindre (à raison sur le fond) du piratage, c'est une chose ; mais il ne faudrait pas non plus pousser au crime en proposant des albums délibérément dénués de la moindre valeur artistique. Faire payer le prix fort pour une « œuvre » qui aurait été bien plus à sa place en tant que bonus d'une édition limitée, c'est un véritable appel au téléchargement illégal. À bon entendeur…