Les années 90 se suivent et semblent toujours aussi mornes pour un Mille Petrozza toujours affecté par l'effondrement des idéaux politiques qui ont bercé sa jeunesse. Outcast continue donc sur la voie aventureuse et maussade sur laquelle le groupe s'est lancé depuis plusieurs années. Après un Renewal marqué par la perte de repères et un Cause For Conflict masquant un malaise évident sous une épaisse couche de violence à l'état pur, voici un album placé sous le signe d'un pessimisme profond et polymorphe.
En effet, le pessimisme suinte de partout sur cet album, de l'artwork aux tons couleur rouille aux simples titres des chansons. Un pessimisme qui se décline sous plusieurs formes : abattement pur et simple ("Leave This World Behind", "A Better Tomorrow", comme par hasard placés aux deux extrémités de l'album), rejet de la société ("Outcast", "Nonconformist"), mais aussi volonté de se battre et d'aller de l'avant ("Stronger Than Before", "Against The Rest"). Autant de facettes qui appellent un spectre musical assez large, allant du mid tempo bien heavy aux morceaux d'une lenteur limite doom comme "Outcast", sans oublier un ou deux titres plus rapides (le classique "Phobia").
Si les penchants indus' esquissés sur les précédents essais sont bien de la partie, pas une once de thrash en revanche sur cet album, malgré un line-up 4 étoiles avec le retour de Ventor à la batterie et surtout l'arrivée de Tommy Vetterli, jadis tête pensante du mythique Coroner. Néanmoins, ces dehors musicaux moins agressifs ne signifient pas pour autant que Mille Petrozza ait fait taire la révolte intérieure qui constitue son principal moteur de création musicale. Les paroles de "Whatever it May Take" sont là pour en témoigner : « Don't let them bring you down (…) Refuse to be enslaved (…) Don't capitulate ». La reddition et l'acceptation du système, ce sera pour une autre fois.
Alors tout ça c'est bien gentil, mais musicalement, ça vaut quoi ? Et bien ça nous donne un album varié, concis (à peine 47 minutes pour 13 titres) et sans faute de goût majeure. Malgré des hauts et des bas niveau inspiration, il n'y a pas vraiment de morceaux dispensables sur cet album (hormis peut-être "Ruin Of Life"), chacun apportant une idée, une nuance particulière à ce tableau lugubre. Ainsi, l'étrange sensation de calme sur le couplet de "Black Sunrise" renvoie directement à Renewal et "Karmic Wheel", avant que Petrozza ne vienne se déchirer la voix sur un refrain qui s'abat sur l'auditeur comme une chape de plomb. "Outcast" donne quant à lui dans un heavy doomesque et majestueux. Quant à "Enemy Unseen", il nous propose une rythmique façon indus' martial que n'aurait pas renié Rammstein.
Mieux, au-delà d'un simple catalogue de bonnes idées, Outcast contient plusieurs titres qui, s'ils n'accèderont jamais au statut de classique en raison de leur style, se révèlent fort agréables à l'écoute. Comment passer sous silence le formidable "Leave This World Behind", et sa structure limite pop (à peine 3 minutes 30, break très court et absence de solo), basée sur une mélodie aussi simple que géniale ? L'enchaînement sur le rapide "Phobia" et le très heavy "Forever" vaut son pesant de cacahuètes et lance cet album sur des bases très élevées, que Kreator ne parviendra malheureusement pas à tenir. Néanmoins, le groupe demeure capable de coups d'éclat fulgurants, comme le remarquable refrain de "Stronger Than Before" vociféré par Petrozza ou "A Better Tomorrow" sur lequel Kreator parvient à instaurer une ambiance sombre et glaciale.
Passé relativement inaperçu à sa sortie, boudé par une grosse majorité des fans et par une bonne partie de la critique, Outcast mérite avec le recul un procès en réhabilitation. Car voici une œuvre profondément honnête émanant d'un groupe bien décidé à n'en faire qu'à sa tête et à aller au bout de ses idées, quitte à se mettre en danger sur le plan commercial. Dommage que cet album ne soit pas parvenu à trouver son public, mais il n'est jamais facile de se défaire d'une étiquette et de faire comprendre qu'on a changé…