Qui parmi les fans de Nightwish ne s’est pas réjoui de l’arrivée de Floor Jansen en tant que chanteuse du groupe ? Après un Imagenaerum plus que rassurant et des prestations live étincelantes en tant qu’intérimaire de luxe, son officialisation au sein de la formation finlandaise avait suscité énormément d’enthousiasme et d’attentes. À juste titre, très certainement. Mais ce nouvel album peut-il leur permettre de garder leur place de leader de la scène metal symphonique ? Réponse à suivre…
Changement de line-up, donc. Changements, même, puisqu’en plus de la sculpturale hollandaise, le batteur Jukka Nevalainen est remplacé pour raisons de santé par Kai Hahto, mais reste toujours crédité sur l’album, et le multi-instrumentiste britannique Troy Donockley vient renforcer la joyeuse troupe. Peu attendaient un renouveau global de la musique des finlandais. Tant mieux, ils auraient été déçus. Car au vu de l’évolution des compositions au fil des dernières productions du groupe et de sa tête pensante Tuomas Holopainen, il y avait fort à parier que l’accent serait mis sur les orchestrations et la grandiloquence. Et ça ne rate pas, avec la participation d’un orchestre philharmonique (baptisé « Orchestre De Grandeur », rien que ça !), d’un chœur d’adultes et d’un chœur d’enfants, on se doute bien qu’on ne donnera pas dans le minimalisme. Ah, et j’oubliais les narrations de Richard Dawkins, biologiste, professeur à Oxford et académicien britannique, ainsi que les références à son œuvre présentes au fil du disque. Pardonnez du peu !
Mais parlons musique, maintenant ! Après une brève narration du sus-nommé Professeur, déboule "Shudder Before The Beautiful". Orchestrations, batterie, riff puissant d’Emppu, on est en terrain connu. À l’image d’un "Dark Chest Of Wonders" ou d’un "Storytime", le premier morceau ouvre les hostilités d’excellente manière. Le chant de Floor est parfaitement maîtrisé, notamment sur un refrain imparable, et les soli de claviers et de guitare se succèdent, ce qui n’était pas arrivé depuis des temps immémoriaux. D’ailleurs le guitariste sera mis en avant, de même que Marco, rajoutant, malgré l’aspect ultra symphonique, sur certains morceaux ("Weak Fantasy", "Yours Is An Empty Hope") un côté plus heavy qui a pu manquer dernièrement. Histoire de rassurer les fans de la première heure ? Possible… La chanteuse, de son côté, fera étalage de tout son talent vocal : tantôt douce sensuelle ("Our Decades In The Sun", "Edema Ruh"), tantôt quasiment pop ("Élan", "My Walden", "Alpenglow"), tantôt puissante et vraiment impressionnante ("Yours Is An Empty Hope", "Endless Forms Most Beautiful", "The Greatest Show On Earth"). Elle sera épaulée sur plusieurs titres par un Marco toujours aussi brillant, ainsi que par le nouveau venu, le ménestrel Troy Donockley. Ce dernier s’évertuera également à donner un côté celtique encore plus prononcé qu’à l’accoutumée grâce à ses instruments folkloriques (cornemuse, flûtiaux et autres guitares antiques).
Et, alors qu’on s’approche de la fin de l’album, l’instrumental "The Eyes Of Sharbat Gula", dont ce n’était pas le rôle initialement, fait office d’introduction au mastodonte final. Il serait impossible de ne pas parler du monumental "The Greatest Show On Earth", le morceau le plus ambitieux du groupe depuis ses débuts, du haut de ses vingt-quatre minutes. Car, même s’il finit par traîner en longueur avec ses narrations et ses bruitages d’animaux, il offre tout de même un magnifique voyage. Après une sublime introduction au clavier assorti d’orchestrations qui ne le sont pas moins, chaque musicien fait étalage de tout son talent au fil de cette pièce maîtresse, tant musicalement que vocalement. Floor semble enfin se lâcher, Marco également, comme s’ils avaient été bridés auparavant. Les riffs sont efficaces, les chanteurs au sommet de leur talent, les orchestrations jamais superflues, quelques moments plutôt étonnants (du clavecin, un pseudo-riff de "Enter Sandman", un beat techno…) et plusieurs passages sont au niveau de ce que la formation a pu produire de meilleur (ah, cette troisième partie et son final fantastique !). Que demande le peuple ? D’y retourner ? Oui, faisons ça.
Serait-ce donc une réussite totale? Pas tout à fait. Du moins, pas aux premières écoutes. Car il y a un sentiment de « déjà entendu », ainsi que la désagréable impression d’être brossé dans le sens du poil. Tout est trop lisse, trop parfait, trop calculé. Peu de prise de risque. S’il y a bien quelques riffs un peu catchy et un peu de grosse voix, il y a aussi des morceaux trop mollassons et assez génériques ("Élan", "My Walden", "Alpenglow"). Si Floor sait se montrer impériale, elle semble souvent se retenir, comme s’il ne fallait pas en faire trop, comme si trop de nouveauté risquait de choquer l’auditeur. Alors que c’est l’inverse qui se produit. On a envie d’en entendre plus ! Qu’elle se lâche comme elle sait le faire ! Qu’ils se lâchent tous! De l’intrépidité, que diable ! Et c’est ainsi que l’ensemble est finalement tout de même un peu décevant… Jusqu’à ce que… Non mais ne serait-ce pas le refrain lisse et mièvre de "Élan" qui revient en tête ? Ne seraient-ce pas les orchestrations de "My Walden", si irritantes au début que l’on sifflote sous la douche ? Le refrain entêtant de "Endless Forms Most Beautiful" qui nous poursuit? Le fabuleux « We were here » de "The Greatest Show On Earth" qui nous hante pendant des heures ? Si, on dirait bien… Et malgré les quelques défauts que l’on vient de citer, les morceaux s’insinuent profondément et parviennent à garantir à Endless Forms Most Beautiful une très longue durée de vie, et une place de choix dans la discographie de Nightwish. Et on a envie d’y revenir. Souvent. Très souvent. Parce que c’est agréable, au final. Très agréable, même.
Endless Forms Most Beautiful a failli décevoir. Mais failli seulement, tant le talent des Finlandais et de leur frontwoman hollandaise finit par nous faire oublier les défauts qui ont pu rebuter au premier abord. L’album donne une irrépressible envie d’appuyer à nouveau sur la touche lecture dès les dernières notes. Il atteint également une autre dimension en live, tant les morceaux sont sublimés sur scène. Leader du metal symphonique, disions-nous ? Assurément, et probablement pour longtemps…