- « Dis Papy, tu m'en veux encore ?
-Attends voir, que je réfléchisse... Oui. Autant que les proches de Razzle pouvaient en vouloir à Vince Neil, pour te situer.
-Puisque je te dis que je n'ai pas fait exprès !
-Vince Neil non plus ! Et toi, tu n'étais même pas bourré !
-Allez quoi, c'est de l'histoire ancienne, maintenant. Et tu m'avais promis que tu me raconterais la suite des aventures de Pretty Maids.
-Après toutes ces années... Tu es toujours motivé ?
-Comme quand j'étais minot, oui. J'attendais ton... retour pour reprendre le fil.
-Eh bien on peut dire que tu auras été patient. Si je me souviens bien, on en était rendu à Future World.
-Oui. Les costumes flashy.
-Les « costumes flashy »... Bon sang, on part de loin.
-J'ai dit une bêtise ?
-Tu peux dire «
connerie »
, mon p'tit gars, on est entre nous. Mais non, tu n'as pas dit de «
bêtise ». C'est juste que dans la seconde moitié des eighties, des zicos sapés comme des arbres de Noël, il y en avait de moins en moins : ça faisait longtemps que dans le domaine du spandex à paillettes version SF, Bootsy Collins et Sheila avaient tué le game, comme disent tes parents. Et voilà que les Pretty Maids ressortent les pyjamas cosmiques.
-Il y avait
Queensrÿche, aussi.
-Bien, gamin, je vois que tu t'es renseigné - ça va nous faire gagner du temps. Si on compare les deux, tu en déduis quoi ?
-Que les types de Pretty Maids avaient l'air de se prendre moins au sérieux que les futurs ex-potes de Geoff Tate.
-Un point pour les Danois. Combien sur l'échelle
Manowar du ridicule vestimentaire ?
-Le taquet. Pour les deux.
-Tu exagères, les dingos de
W.A.S.P. étaient pires. Reste que les Nordiques avaient mis la barre suffisamment haut pour déglinguer leur crédibilité en voulant coller à un pseudo concept....
-La science-fiction ? Genre,
Ulysse 31 ?
-Tu connais ça, toi ? Tu parles, il n'y a aucune histoire - à côté le scénario d'
Albator, c'est
Guerre et Paix. Au final, on se retrouve avec une pochette aussi bariolée qu'un manège de forains conçue – tout de même - par Joe Petagno, l'illustrateur de
Motörhead.
-J'ai dû mal à établir si elle magnifique ou complètement kitsch.
-Personnellement je n'ai jamais pu trancher.
-Tout ce délire pour une petite dizaine de titres...
-Deux, "Eye of the Storm" et "Future Word" - les autres n'ont aucun rapport.
-Dis donc, elle est bien spatiale, l'intro de "Future World".... Ça change de
Carmina Burana.
-N'est-ce pas ? Et le meilleur reste à venir.
-Oh pétard de riff ! Ça tranche autant qu'une machette dans une scène de
Walking Dead !
-De quoi tu parles ?
-Ahem, rien, papy, rien, un truc de hipsters qui date de la période où tu étais inconsc...Enfin tu vois, quoi.
-Mouais. Reste que je suis totalement d'accord avec toi, la guitare est salement incisive, au duel avec des claviers alertes. La tension se relâche légèrement sur les couplets en voix claire avant de les dynamiter et d'exploser le refrain.
-Ronnie Atkins force plus que sur
Red Hot and Heavy, non ?
-Oui, sans doute un peu trop, il nasille franchement sur certains passages. Reste que le contraste avec son registre velouté est encore plus spectaculaire.
-Excellent, le solo !
-Nerveux et pile dans le thème. Pas mal, pour un début, non ?
-Finalement, c'est très proche de "Back to Back".
-Un instant classic, comme son homologue en ouverture du premier LP, oui.
-Donc logiquement, le morceau qui suit devrait être une bonne tranche de heavy saignant, à l'instar de "Red Hot and Heavy"...
-Hum. Question lourdeur, tu vas être servi....Le t-bone risque d'être dur à digérer, par contre.
-Ouh là, ces synthés tsoin tsoin...
-Visiblement les gars ont cherché à pondre un refrain pour faire beugler la foule, mais le résultat, sans être indigne se révèle pataud. Heureusement les inflexions âpres d'Atkins sauvent "We Came to Rock" du grotesque.
-Laisse-moi deviner : la piste suivante sera faussement guillerette comme "Waitin' for the Time"...
-Guillerette oui, et même davantage encore que son modèle puisque dénuée de la cassure qui dresse les poils. Soyons clairs, "Love Games" est violemment radio friendly – le refrain va s’incruster un bon moment entre tes hémisphères, tu verras. Paradoxalement, les synthés se font discrets.
-Pour une fois...
-Ah oui, ils ne t'avaient pas toujours plu sur
Red Hot and Heavy. Bonne nouvelle : tu vas en bouffer deux fois plus sur
Future Word, monsieur le coreux !
-Papy, s'il-te-plaît... Ok, si j'ai bien compris, l'option AOR a pris le dessus ?
-Incontestablement. À part "Future Word", seul "Loud 'n' Proud" peut rivaliser en terme de virulence avec les compositions de l'album inaugural.
-On peut continuer la comparaison et en faire un "Cold Killer" bis ?
-Pourquoi pas, il est suffisamment speed pour y prétendre, bien que dépourvu du climat à la
Blade Runner de son prédécesseur. Et le léger déraillement au début du solo est un peu louche, aussi. Mais la fougue de "Loud 'n' Proud" en fait l'un des moments forts du recueil.
-Quand tu évoques
Future World, je ne te sens pas aussi enthousiaste que lorsque tu me parlais de
Red Hot and Heavy. Qu'est-ce qui te chiffonne ?
-Tu sais bien ce qui me chiffonne, c'est ce jour funeste où tu as appuyé sur...
-Hop hop hop Grand-Père, on revient au sujet.
-Groumph. Oui, je l'admets, certaines séquences sont trop molles pour moi.
-Ta nouvelle infirmière m'a dit précisément la même chose quand j'ai pris de tes nouvelles en arrivant.
-Dis donc, je croyais que tu n'appréciais pas les digressions ? Elle va m'entendre, cette Priscilla ! Encore une qui a oublié la notion de secret médical.
-En effet, je vois qu’elle l’a laissé sur le canapé. Et elle a oublié de ramasser sa déontologie en dentelle, aussi – je suis arrivé trop tôt, non ? Sinon je devine tes réserves : les couplets sans relief de "Rodeo" pourtant initié par un motif aussi hargneux que prometteur, la guitare inhabituellement paresseuse de Ken Hammer sur "Needles in the Dark" qui se laisse déborder par des claviers orchestraux ...
-... Heureusement que le refrain, répété jusqu'à épuisement, est très bon et que l'allure soutenue contribue à faire passer la pilule.
-J'ai l'impression que l'utilisation des synthés est moins convaincante que sur la réalisation antérieure, non ?
-Disons qu'ils plombent certains morceaux au lieu de les dynamiser, à l'instar de "Long Way to Go", un mid tempo suffisamment mordant toutefois pour échapper à la mièvrerie.
-Une conclusion similaire à "Little Darlin'", qui clôturait le premier effort longue durée ?
-Admettons. Néanmoins le parallèle ne fonctionne pas à tous les coups.
-Tu m'inquiètes. Je veux dire: soit ils se sont mis au grindcore, soit aux ballades. La première hypothèse étant assez peu crédible vu que le séminal
Scum de
Napalm Death n'était pas encore sorti, reste la seconde option. J'ai peur. Maman !
-Laisse ta mère tranquille, andouille, on n'est pas chez
Phil Collins ! Brillante déduction, ceci dit : il y a bien deux ballades sur
Future World. Et alors ? Elle est pas belle, la ligne de chant qui irise "Eye of the Storm" ?
-Si si. Le refrain et le pont aussi. Dommage que les mecs restent en seconde tout du long, d'autant qu'après le solo ultra mélodique de rigueur, le refrain ad nauseam en guide de coda se révèle très prévisible.
-Je m'attendais à une remarque de ce genre. C'est pourquoi je t'ai réservé "Yellow Rain" pour la fin.
-Des arpèges en amorce, une mélopée émouvante, des paroles évoquant un soldat en stress post-traumatique à la
Rambo sur fond d'hélicoptères en reconnaissance ... Je peux me tromper mais je crois que
Def Leppard a fait exactement la même chose sur "
Die Hard the Hunter" quatre ans auparavant.
-Certes. On nage en plein cliché, ce qui n’empêche pas cette exposition d'être magnifique. Et lorsque l'accélération déboule, c'est autrement plus énergique que sur la version des Panthères dures de la feuille que tu viens de mentionner.
-Ouatezephoque ?!
-Ça secoue sévère, hein ? Ok, le riff n'a pas la malice de celui de "Future World" mais il est aussi efficace qu'un largage d'agent orange sur la jungle vietnamienne. Un refrain pas compliqué mais marquant, un solo mélo futé, un dernier tout de ritournelle et hop, on obtient l'une des meilleures power ballads des années quatre-vingt.
-Malgré un excès de glucose et une légère baisse d'inspiration, il me plaît bien, ce long jeu n°2. La hargne est encore présente et la plupart des refrains sont délectables. L'orientation hard fm peut dérouter quand on s'attend à prendre sa dose de heavy véloce mais enfin il y avait des prémices sur l'enregistrement précédent, la surprise reste mesurée...
-Contrairement à celle que tu m'as faite il y a sept ans ! Qu'est-ce que tu n'avais pas compris dans « trouve-moi Suicidal Angels sur ton smartphone » ?
-Mais enfin, Papy, c'était tellement insignifiant que je croyais avoir mal compris...
-C'était pour flatter mon ego et me rappeler qu'avec mes potes de lycée, on faisait vachement mieux ! Nous aurions pu avoir la même carrière que Slayer !
-Pas en ayant appelé votre groupe Evil Tapir.
-Ben quoi, toutes les autres bestioles étaient déjà prises... Bref, qu'est-ce qui t'avait pris de me balancer cette monstruosité ?
-J'ai voulu changer de musique et j'ai validé par mégarde un nom qui suivait dans la liste. Suicide Silence.
-Je me demande bien pourquoi tu avais ces épouvantables braillous dans ton lecteur, jeune homme ! Je ne t'ai pas mis assez souvent en garde contre les méfaits du deathcore, peut-être ? Mais non, Monsieur a voulu jouer au rebelle !
-Je me cherchais, j'étais jeune ! Je n'allais pas écouter Pantera toute mon adolescence, quand même !
-Mais personne ne t'avait demandé un sacrifice pareil ! Cinq secondes, une attaque, sept ans de coma : ils ont fait fort, tes copains psychopathes ! J'ai dû rater tellement de trucs... Tiens, cite-moi les têtes d'affiche des grands festivals de l'année dernière, que je me mette au jus.
-Kiss, ZZ Top, Lynyrd Skynyrd...
-Et en plus je me réveille en 1976 ! »