« Grand-Père, raconte-moi une histoire !
-Te fatigue pas, on l'a déjà faite, cette intro.
-Ah bon. En fait je voulais que tu me parles du speed metal mélodique.
-T'as peur de rien, toi. Ah, fougueuse jeunesse ! Tu as combien d'heures devant toi ?
-Non mais je voudrais savoir comment ça a commencé. Y'avait quoi avant Symphony X ?
-Oumph ! Petit inconscient ! Combien de fois faudra-t-il te répéter de ne pas prononcer ce nom honni en ma présence ? Mes pilules pour le cœur, vite !
-Arrête ton char, papy. Alors, ça débute en Allemagne, c'est ça ? Running Wild, Rage, Helloween...
-Ah... Helloween, leur premier EP, Walls of Jericho... Miam ! Sauf qu'il n'y a pas qu'eux.
-Mais enfin, ce sont bien les Allemands qui...
-Oui mais les Pretty Maids leur ont donné un sacré coup de main. Et ils sont Danois.
-Comme Scooby-Doo ?
-...
-OK mon gars, on reprend les bases. Oui, c'est vrai, les hérauts actuels du speed metal mélodique se réclament à peu près tous du noble lignage du Glorieux Helloween Du Premier Règne flanqué de ses séides teutons dont tu m'as cité quelques spécimens. Mais il n'empêche que depuis leur Danemark natal, les valeureux chevelus de Pretty Maids balancent dès 1983 une démo bien véloce, rêche et limite evil, si tu vois ce que je veux dire. Tiens, écoute-moi "In the Night" - ça déchire pas, peut-être ?
-C'est linéaire, mal produit et le chanteur déraille.
-Comme
Grave Digger à cette période ! Enfin je veux dire, encore plus qu'aujourd'hui. Un EP remarqué plus tard – note la pochette qui fait peur – les six Nordiques signent chez CBS, une major qui sort leur premier effort longue durée intitulé
Red, Hot and Heavy en 1984. Et sur lequel les progrès entrevus lors de l'enregistrement précédent vont se confirmer au-delà de toute espérance. Vas-y, balance la sauce.
-C'est quoi cette intro moisie ?
-Un extrait de
Carmina Burana, le kouglof grotesque de Carl Orff. Félicitations, tu viens de survivre aux vingt-deux secondes les moins intéressantes du recueil. "Back to Back" devrait mieux te convenir...
-Tu m'étonnes ! Il est énorme, ce riff ! Et speed avec ça : on dirait du Helloween avant Helloween !
-Bien dit, mon bonhomme, ces mecs sont des précurseurs ! Alors bien sûr, la voix est beaucoup plus mélodique mais note l'alternance entre chant clair et vocalises menaçantes. Ronnie Atkins a la classe, mec, et techniquement, c'est autre chose que Kai Hansen...
-... Ou que Chris Boltendahl.
-On causait chanteurs, là, non ?
-Hum, oui, pardon. Mais dis donc, c'est pas toujours rapide : "Red, Hot and Heavy" est très... heavy !
-Il clôture encore aujourd'hui les concerts du groupe - ces chœurs imparables sur le refrain, tu peux pas lutter. Car les Scandinaves savent varier les plaisirs ! En fait, tous les refrains sont excellents et donnent envie de les reprendre à pleins poumons. Et puis écoute-moi cette rythmique en béton ! Le batteur n'est peut-être pas un virtuose mais il tape droit. Et fort.
-Oh là là mais c'est quoi cet enchaînement de ouf ?!
-Tu parles de la triplette "Cold Killer" / "Battle of Pride" / "Night Danger" ? Ta réaction est normale : tu viens de faire connaissance avec le Bonheur.
-Nan mais ça déboîte Mamie !
-Pardonne-lui, ma pauvre Hortense, où que tu sois. Mais ouaip, Ken Hammer n'est pas précisément un manchot et il a le bon goût d'être concis sur ses parties récitatives. Et tranchant. Comme sur le solo nerveux de "Night Danger" qui évoque celui de John Sykes sur "Thunder & Lightning" de
Thin Lizzy enregistré un an auparavant. En ce début des années quatre-vingt, il n'y a guère que les speed/ thrasheurs nord-américains qui sont en mesure de le surpasser en célérité. Et puis c'est un compositeur hors pair, mais ça tu t'en es déjà rendu compte.
-Toute l'œuvre est comme ça ? Les claviers, là, ils vont pas devenir gênants à un moment ?
-Si. Mais pas sur cette réalisation. Ceci dit, sur la semi-ballade "Waitin' for the Time" initiée par une boucle de synthés so eighties ou sur "Queen of Dreams" et ses accords un peu pompiers, on pressent le penchant hard FM que la formation développera plus tard. Mais les six-cordes restent mordantes et il y a toujours un break redoutable pour relancer la machine. D'ailleurs, à l'écoute de "Queen...", on se dit que Weikath ne s'est pas trop foulé quand il pondu celui d'"
Eagle Fly Free" quatre ans plus tard...
-Moi j'aime bien les claviers, surtout quand ils doublent discrétos les soli de guitare et les parties chantées...
-Un schéma que piqueront toutes les sections « spimélo » de la Création. Et ouais, mon petit, j'ai conscience que cette révélation va te causer un choc mais
Stratovarius n'a rien inventé. Les Pretty Maids étaient pratiquement les seuls à proposer ce genre de plan à une époque où les synthés constituaient le mal absolu dans le metal. Thrasheurs et glameurs étaient au moins d'accord là-dessus !
-Pourtant, c'est joli les synthés, c'était quoi le problème ?
-Toi, t'as jamais fait banquette à la boum en subissant A-Ha toute la soirée.
-Non.
-Prends ça comme un signe favorable du Très-Haut. Qui s'est bien vengé en envoyant
Luca Turilli sur Terre et...
-Tu radotes, grand-père.
-Excuse-moi, les médocs contre la symphilis, sans doute.
-Bon alors, verdict ?
-C'est trop de la balle, ce truc ! Je comprends mieux où Tobias Sammet a puisé ses influences pour Edguy.
-Lui et tous les autres ! Red, Hot and Heavy, c'est le lien parfait entre la New Wave of British Heavy Metal et le speed metal à la teutonne. C'est du speed metal mélodique des nineties en mieux et avec dix ans d'avance. C'est un compromis quasi parfait entre une hargne intelligemment canalisée et un sens mélodique hors pair.
-Mais alors pourquoi ne parle-t-on pas beaucoup de Pretty Maids dans le Grand Grimoire Métallique ?
-Parce que pas Américains ni Allemands, parce que trop d'attente entre leurs deux premiers LP, parce que synthés, parce que pas assez rapide pour les fans de speed, pas assez evil pour les thrasheurs. Et trop virulents pour les amateurs de hard FM - mais ça, ça va changer.
-Ah bon ? Tu veux dire qu'ils vont devenir tout mous comme Toto ?
-C'est un peu plus compliqué que ça. Mate leurs costumes au dos de la pochette de Future World, l'album suivant sorti en 87...
-Ils ont perdu un pari ou quoi ?
-Je ne vois que ça. Bon, c'est pas le tout mais ma verveine commence à faire effet - je te raconterai ça une autre fois. Enfin, si je survis à la dernière sortie de Rhapsody of Fire. »