CHRONIQUE PAR ...
Flower King
Cette chronique a été mise en ligne le 01 juin 2021
Sa note :
14/20
LINE UP
Beaucoup, beaucoup trop de monde: pour ceux que ça intéresse, la liste complète des musiciens est consultable sur
le site officiel de l'album.
TRACKLIST
1)Whole Thing (Original Mix)
2)Habibe
3)Shadow
4)altus silva
5)Exit Through You
6)Everything Comes from You
7)Burn You Up, Burn You Down
8)Forest
9)Rivers
10)Jijy
11)Big Blue Ball
DISCOGRAPHIE
Ceux qui se gaussent des tribulations incessantes d’Axl Rose et son Chinese Democracy seraient bien inspirés de considérer le cas Big Blue Ball. Ils apprendront ainsi que l’égomanique bêlant ne détient pas encore le record absolu ; car entre la première séance d’enregistrement en 1991 et l’ultime overdub, se sont écoulées seize longues années. Le grand ponte du projet (Peter Gabriel) nous ayant habitué aux arlésiennes, autant vous dire qu’on n’y croyait plus. Comme quoi, il faut toujours espérer…
Le principe de l’album est simple : à trois reprises durant les années 90, le studio Realworld s’est mué le temps d’une semaine en une gigantesque auberge espagnole, dans laquelle des artistes de tous horizons se sont amusés à composer et enregistrer ensemble ce qui leur plaisait. Objectif annoncé : proposer une forme de « musique mondiale » authentique, pétrie d’influences multiples tout en conservant un caractère spontané et « vivant ». Ce fut la mission du Gab’, entouré des producteurs Stephen Hague et Karl Wallinger, de faire le tri dans les sessions et de polir les sélections retenues. La première crainte légitime, c’est que le tout soit définitivement marqué du sceau de son époque, dont les choix de production n’étaient parfois pas plus pertinents que durant les années 80 – un album comme Us peut en témoigner. Et bien heureusement, sur Big Blue Ball on y échappe… assez souvent.
Il faut distinguer deux cas de figure parmi les morceaux : les chansons construites sur une base purement occidentale – dans le chant, dans la trame mélodique – et celles qui forment un mélange de couleurs dans leur essence même. Vous l’aurez peut-être compris, c’est le premier cas de figure qui sonne le plus daté et donne les moins bons résultats. Ça peut se comprendre : difficile sur des sessions aussi courtes et éparses de bâtir des compositions construites autrement que sur un riff, un climat ou au mieux, un motif mélodique unique. Ce déficit d’écriture est alors compensé par des arrangements clinquants, mais qui ne tiennent pas la distance, surtout quinze ans après. Il y a pourtant de belles réussites : "Everything Comes from You" conjugue les talents de Sinead O’Connor, du percussionnste japonais Joji Hirota et du flûtiste Guo Yue pour bâtir un crescendo émouvant à partir d’une simple ligne pianistique. Parmi les morceaux plus travaillés, on notera la charmante plage-titre ainsi que l’ambitieux "altus silva", qu’on aurait bien vu un générique de fin d’un blockbuster d’aventures du milieu des 90’s.
Mais à côté de ça, il faudra se fader un poussif "Whole Thing", un "Burn You Up, Burn You Down" pas plus convaincant que son pendant live plus récent, ou bien un "Exit Through You" composé en une heure – c’est certifié dans les notes de pochette – par Gabriel et Joseph Arthur, et qui peine à proposer la moindre idée originale. Ceux qui espéraient retrouver dans ce projet une espèce de Peter Gabriel & Friends seront fort déçus tant ses compositions, en plus d’être peu nombreuses, sont en deçà de ce qui est proposé par ailleurs sur ce disque. Mais lorsqu’il endosse, avec ses compères Hague et Wallinger, la casquette de producteur/arrangeur sur les morceaux typiquement world, il se montre sous un autre jour : son travail sur les climats et textures est incomparable, notamment l’époustouflant "Rivers" où le chant traditionnel magyar, déjà sublime au naturel, se retrouve plongé au cœur d’un océan sonore en imperceptible mouvement. Dans le même ordre d’idée, des morceaux comme l’envoûtant "Habibe" ou l’effrené "Forest" sont la preuve que les musiques traditionnelles – orientales pour l’un, africaines pour l’autre – peuvent se compléter, voire même s’enrichir des apports rythmiques et mélodiques occidentaux, sans aucunement les dénaturer ou atténuer leur puissance originelle.
C’est dans ces moments que l’album est le plus précieux : le rêve d’une « musique du monde » devenant réalité, où les cultures ne s’entrechoquent plus mais fonctionnent en complémentarité, sans message extérieur de quelque nature. Seule la musique parle, et elle le fait bien. Alors, rien que pour ces îlots dépaysants, et pour peu que l’on soit friand du mélange des saveurs, on se penchera volontiers sur ce beau disque bleu.