Les groupes brésiliens sont vraiment doués pour nous faire du mal. Sepultura et Angra sont deux groupes qui ont eu la merveilleuse idée de splitter au moment où leur carrière commençait à devenir vraiment sérieuse. Et dans les deux cas on se retrouve avec deux groupes au lieu d'un, dont on espère à chaque nouvel album qu'ils arriveront à recréer la magie du groupe original. Max part donc de Sepultura pour d'obscures raisons liées au statut de manager de sa femme Gloria, recrute trois musiciens sud-américains inconnus et revient en force avec ce Soulfly brut et qui tente de prolonger la magie Roots. Est-ce aussi bon que cet album légendaire? Non. Est-ce un bon album? Oui!
Dès le premier titre la donne est posée: Soulfly fait du Roots, du "sous-Roots" a-t-on même dit à l'époque. Même Ross Robinson à la production, même studio perdu pour enregistrer, même revendication de créer un métal tribal basé sur l'idée de communauté, tout y est. Le riff d'"Eye For An Eye", le son Hénaurme, le feeling, les hurlements reconnaissables entre mille de Max: Soulfly reprend là où Roots s'était arrêté, et la chanson claque immédiatement. La participation de Burton de Fear Factory sur le pont dans un registre "arabisant" totalement inhabituel pour lui renforce le côté world-metal du titre, et le tout passe comme une lettre à la poste. C'est brutal, inspiré, accrocheur, ça prolonge Roots sans le copier, en résumé c'est du tout bon. Je tiens à attirer votre attention sur la voix de Max: il est ici au sommet de sa violence. Son growl est encore plus brutal et profond que chez Sepultura, et il ne retrouvera plus jamais à mon sens un tel niveau. On peut se douter que la production de Robinson qui est extrêmement doué en ce qui concerne les voix hurlées y est pour quelque chose.
Alors bien sûr, dire que l'ombre de Sepultura plane sur cet album est une litote. Max était le principal compositeur du groupe, donc sa "patte" est immédiatement reconnaissable. Le riff d'ouverture de "No Hope = No Fear", ainsi que pas mal d'autres, pourrait avoir figuré sur Roots sans problèmes. Mais l'album ne sonne pas comme une simple copie carbone, en particulier grâce à une section rythmique hyper dynamique et possédant une réelle personnalité. Roy Mayorga est un batteur surdoué tant en violence pure qu'en feeling, finesse, et capacité à donner aux morceaux ce ton typiquement brésilien et traditionnel qu'on adore. Il prend la "succession" d'Igor Cavalera sans avoir à rougir, et c'est une performance en soi. Quand à Marcello D. Rapp, il amène une dimension totalement absente du temps de Sepultura, à savoir une basse groovy et présente qui ne se contente pas de suivre les guitares mais apporte sa propre pierre à l'édifice. Un excellent titre comme "Tribe" repose en grande partie sur lui et sa ligne bondissante et jouissive. Il apporte à lui seul un petit aspect néo à la musique de Cavalera, aspect qui se développera de plus en plus au fil des albums.
Car le Maxou commence à lorgner sur le néo, ce qui n'est pas étonnant vu que Chaos A.D. et Roots avaient déjà pas mal ralenti le tempo et renforcé la part des rythmiques syncopées hardcore. Le titre "Bleed", chanté en duo avec Fred Durst de Limp Bizkit, lance cette tendance. Max est proche du rap sur les couplets, et quand Durst ne nous rappelle pas qu'il est un excellent hurleur sur les "BLEED!" du refrain (essayez de les différencier!) il part ensuite en pur rap, et on est dans le néo pur, bruitages bizarres inclus. Mais c'est un titre parmi d'autres dans un album qui a pour but de mêler le style Roots avec le plus d'autres influences possibles. Et la plupart du temps, ça marche! "Prejudice" voit intervenir Benji, ex-DubWar possédant deux registres de chant très différent: un chant reggae traditionnel et un chant beaucoup plus agressif, tirant vers le hardcore. Et le titre fait mouche!
La reprise de Jorge Ben, "Bumba", mêle un thème ambiancé et easy-listening à un riff monstrueux, et là encore la sauce prend. En plus Max s'amuse à mettre des notes dans ses hurlements, avec succès. Idem pour "First Commandment", chanté en duo avec le grand copain de Max, Chino Moreno (Deftones), qui lie un riff néo et une basse groovy avec des passages tribaux ambiancés du plus bel effet. Moreno utilise ses différents registres (hurlé, clair, pleuré) avec beaucoup d'efficacité, et ça fait un titre réussi de plus sur l'album. Le fait qu'il traite de la mort bizarre et non élucidée de Dana Wells, beau-fils de Max et ami de Chino comme de beaucoup de monde dans la scène métal, explique sûrement le degré d'émotion du titre.A ce stade vous devez avoir compris: ce premier Soulfly ne rigole pas du tout. Max a réussi à conserver une bonne partie de ce qui avait fait l'énorme succès de son dernier album avec son ancien groupe et à insuffler en plus une bonne dose d'inspiration voire de nouveauté.
Et pourtant... Et pourtant cet album est moins bon que Roots, il n'y a rien à faire. Trop de titres, peut-être? La présence de quelques ratages comme "Umbabarauma", composé dans l'esprit d'un "Ratamahatta" mais qui tombe complètement à plat (sauf si vous êtes un footeux brésilien), ou un "Fire" ennuyeux... il manque quelque chose à cet album pour le faire passer du statut de bon album à celui d'album culte ou seulement excellent. Et si vous voulez mon avis, il est assez facile de mettre le doigt sur ce (ceux) qui manque(nt): Igor Cavalera, Andreas Kisser et Paulo Jr. Car cet album de Soulfly a pour moi l'avantage de mettre une évidence en lumière : Max était responsable d'une grosse partie du son Sepultura, et plus précisément du son Roots... mais pas TOTALEMENT. Sepultura était un groupe composé de quatre personnes, et l'alchimie présente sur ce monument du métal que restera Roots ne saurait être retrouvée avec seulement un quart de l'équipe présente, même si c'est le quart le plus important.
Comme l'a dit Igor Cavalera : «Soulfly tente de recapturer l'esprit de Roots, mais n'y parvient pas». Ce n'est pas totalement vrai, car cet album reste ce qu'il y a de plus proche de ce qui nous avait fait vibrer en 1994. Mais ce n'est pas totalement faux. Soulfly est un ersatz de Roots, ce qui pose d'entrée les limites de la démarche. Mais un ersatz sacrément réussi tout de même.