Depuis 2008, le père Cavalera s’est épuisé à sortir des galettes dont la qualité était proportionnelle au temps nécessaire à la création. Prolifique, il l’a toujours été, au sein de Sepultura, entre un à trois ans pour accoucher d’un album, et seul, sortant plus de 10 disques, sous divers noms, en 14 ans. Si les sommets ont rarement été atteints, il faut avouer que l’on commençait à sérieusement douter de sa capacité à sortir un truc juste convenable. Inflikted mis à part, la triplette Conquer-Omen-Blunt Force Trauma nous faisait même poser LA question : à quoi servait-il encore ?
C’est pas pour être méchant avec lui hein, je l’aime bien Max, et puis faut reconnaître son charisme et ses qualités passées. Mais c’est vrai que pour le côté poussif et à bout de souffle de ses dernières sorties, on était tenté de lui dire « calme-toi, pose-toi, prends ton temps, respire ». A-t-il lu toutes les chroniques faites ces dernières années où est-ce un sursaut de créativité ? C’est LA nouvelle question. Parce que si le dernier « effort » du Cavalera Conspiracy n’a pas un an, il faut reconnaître que cet Enslaved est bien plus recherché, plus fouillé et abouti. Pour autant, est-ce un gage de qualité ? Ah mes amis, on va y venir. Il y en a pour un peu moins d’une heure de musique. Le genre de chose qui peut faire peur. Soit, soyons courageux et lançons le truc. "Resistance" est une courte intro qui nous met cash en terrain connu : un son de basse et les leads caractéristiques de Marc Rizzo, quelques samples, une petite orchestration dans le but d’assombrir le propos, quelques percus tribales…
… Et ça commence pour de vrai, le début de "World Scum" en basse-batterie nous chope là, la double à fond la caisse, un chant qui pourrait faire penser à "Prophecy" puis Travis Ryan, le hurleur de Cattle Decapitation, arrive dans un double growl qui colle parfaitement à l’instru. Et là, on sent pointer le petit drame : le refrain, banal, se répète et comme on connait bien le cuistot, on sait qu’on va se le manger plus d’une fois. Et ça se confirme un peu le long de ce morceau de cinq minutes. Pour autant, le temps file agréablement, c’est brutal, Rizzo place des leads purement death et le nouveau batteur, David Kinkade, le suit dans cette direction. Ses parties sont d’ailleurs très bien mixées, ni trop en avant, ni étouffées, et s’il ne révolutionne rien, sa prestation est tout à fait honorable. Et Tony Campos est un bassiste. Alors, on ne l’entend pas trop, donc on sait pas trop ce qu’il fait ni s’il le fait bien. A quelques rares moments, il y a une vraie percée, mais sinon il se contente de doubler les parties rythmiques. Comme beaucoup de bassistes dans beaucoup de groupes hein, je lui jette pas la pierre.
"Intervention" alterne les passages midtempo hardcore, les passages plus lourds, et Marc Rizzo, tel un Greg Mackintosh, distille ses leads reconnaissables entre mille (quel type d’ailleurs, vraiment talentueux, possédant une identité très forte). C’est bourrin mais pas que. Le groupe parvient à ambiancer ses morceaux, le ton est sombre et posé, loin des missiles de violence bête et brute qu’il nous avait présenté ces dernières années. Cavalera ressort le berimbau sur "Gladiator", le temps de quelques accords, la structure N’EST MÊME PAS LINEAIRE, il y a des changements de rythme et tout et tout, des vrais soli, et C’EST LOIN D’ÊTRE DESAGREABLE (même si le refrain « Hail Hail Gladiator » se répète, mais bon, Max a la quarantaine passée, il va pas se refaire). Le reste de l’album est du même tonneau. Du bourrin mais bien fait et pas chiant. Chaque titre aura son petit truc accrocheur (la double furieuse de "Legions" sur les parties simples de Rizzo, le midtempo vraiment cool d’"American Steel" qui voit le groupe partir sur un passage groovy qui déboite, les échanges avec le père Fafara, et son refrain tout fou, sur "Redemption of Man by God", les soli sur "Treachery", très mélodiques et bien trouvés…).
"Plata O Plomo" est sympa sans plus, chantée en VO dans le texte, avec quelques accords de guitare sèche. Mais c’est bien agréable quand même. "Chains" est longue (7’18 !). Inutilement longue. Elle s’étire comme un chewing-gum fondu entre le bitume et la semelle d’une basket. Un peu lourdingue et indigeste, malgré quelques passages où l’on relève la tête de la copie (la partie en blast est très bonne mais trop courte !). "Revengeance" est la partie « récré » du papa puisqu’il enrôle ses gamins Zyon, Igor et Lody (batterie et chants) pour accoucher d’un morceau loin d’être mauvais, techniquement parlant, mais pas impérissable. C’est amusant d’entendre ces deux jeunes growls se mêler à celui de l’ours mal léché qu’on connait si bien, même si pour ceux qui ont vu les Soulfly en live ces dernières années sont habitués… Oh mais, tiens, il n’y a pas "Soulfly VIII" ?! Ah si. Mais uniquement sur la version deluxe, avec les titres "Slave" et "Bastard". Etrange. Ou alors était-ce pour éviter l’album à 14 pistes et donc l’overdose ? Je ne sais pas…
Donc donc… Qu’est-ce qu’on retient de tout ça ? C’est du Soulfly. On ne peut pas s’y tromper, les gimmicks de gratte, la voix, la nature des riffs… Mais l’hydre à deux têtes a lâché les brides et nous offre cette année un disque intelligent où l’inspiration semble être revenue, plus brutale et sournoise qu’avant. Pour autant C’EST LONG ! Trop long, parfois répétitif et rarement inoubliable. Un bon album sans doute, mais pas un grand album. Mais y a du mieux, espérons un maintien dans cette direction, avec quelques coupes par ci par là… C’est franchement encourageant !