Vieillir avec un groupe qu’on aime, c’est toujours une leçon de vie. Et donc, forcément, un coup de nostalgie. Aujourd’hui, en 2011, qu’elle semble loin, la jeunesse enchantée de King’s X… Et même : qu’elles semblent loin, les années d’âge mûr, l’époque où le trio, sûr de ses forces et fort de son goût, sortait coup sur coup un Dogman et un Ear Candy… 15 ans se sont écoulés. Et donc, 23 ans après son premier album, presque 30 ans après sa naissance, voilà qu’un premier DVD live nous tombe dans les bacs. Comme ça, comme un enfant sur le tard. Trop tard ?
Ils ont maintenant la cinquantaine. Soixante, même, pour un Doug Pinnick aussi sec et filiforme qu’un bout de réglisse. Faut-il donc attendre de ces « vioques » une prestation terne, usée, ramollie du bulbe ? Pas vraiment. Au contraire, même. Difficile de dire pourquoi la magie s’est un peu retirée, pourquoi ce live se regarde avec, au cœur de la joie, un pincement de regret ; mais ni le son, ni l’excellente performance des musiciens n’est à remettre en question. Les chœurs, le gosier en flammes de Pinnick : tout est là (y compris l’ignoble poulpe radioactif qui lui sert de coiffure – quelqu’un se dévoue pour lui dire que c’est horrible ?). Ty Tabor est au top, la « Tabor’s touch » illuminant tant les riffs que les spirales délicates de ses solos. Jusqu’à la raideur désarticulée du batteur participe au charme du concert (comment un type aussi laid à voir jouer, au geste aussi dépourvu d’ampleur que de souplesse, peut-il battre avec tant de groove et de nuances ? le mystère reste complet). Non, la cohésion paraît sans failles. Ces trois briscards-là se connaissant comme leur poche, jouent ensemble depuis trente années ; et quelque part, voir ces trois mecs, ces trois bêtes, ces trois amis, ces trois hommes un peu abîmés par la vie, s’arracher sur leur musique et défendre bec et ongle leur coin de scène, c’est un spectacle tout simplement... beau.
C’est qu’on a fait de la route, avec eux. On en a vu, du chemin. Des hauts, des bas, des modes et des courants, des coupes de cheveux et des styles différents… Leur set-list est d’ailleurs typique de certains groupes à longue discographie : 80 % de classiques (donc des quatre premiers albums), 20 % du dernier en date, qu’il faut défendre coûte que coûte. Et entre les deux... rien du tout. Une absence : voilà ce qui résume les années 2000 pour King’s X. Tape Head, Mr. Bulbous, Manic Moonlight, Black Light Sunday, Ogre Tones : autant d’albums imparfaits mais attachants, dont il ne reste absolument rien sur ce DVD. Si : un "Groove Machine" de 98, que le groupe, absurdement, s’entête à jouer en introduction depuis dix ans… alors qu’il s’agit d’un des openers les plus mollassons qu’on puisse trouver dans leur discographie. Il faut reconnaître, il y a eu un tunnel. Depuis 98, il a fallu accepter chez King’s X une longue période de flottement. Les doutes, les essais, les ratés d’un groupe en pleine crise de la quarantaine. Crise que le groupe étendrait probablement jusqu’à Dogman et 94, puisque ni lui, ni l’Ear Candy de 96, ne sont représentés par plus d’un titre. C’est maigre. D’autant plus maigre que, si le trio se focalise sur ses excellentes premières compos (des pièces d’orfèvrerie enchantée, méticuleusement pensées, minutieusement agencées), il a gardé de son âge adulte une façon de jouer plus cool, plus directe, plus « décontractée du gland » – et donc, fatalement, un peu moins impressionnante.
On sera donc un peu déçu de voir Pinnick remiser sa légendaire basse douze cordes au placard, et n’assurer le set qu’avec une classique quatre cordes (au son toujours aussi grésillant). Il ne sortira le monstre qu’une seule fois, pour "Pray", un titre du récent XV. Hélas : si l’on se réjouit d’entendre ronronner la bête (« deux guitares et une basse réunies », dixit dUg lui-même), ce morceau reste un peu le point noir du concert. On sera en effet surpris de voir Pinnick – qui a dompté des mises en place autrement plus complexes – maîtriser aussi mal ce morceau et, mangeant des débuts de mesure et parfois mal coordonné, foirer littéralement chacun des couplets. Mais à quoi bon lister les pains ? Le groupe, pourtant d'un niveau technique supérieur, n'est pas une machine de guerre comme ont pu en produire les années 2000, des photocopieuses à morceaux desquelles rien ne dépasse. C'est un groupe de rock, avec sa marge de sueur et d'imprécision, et plus encore : un trio. Et ce trio joue pied au plancher. Forcément plus crus que sur album, forcément plus « rock », donc, les chansons restent catapultées avec une patate et un savoir-faire, un grain, qui laissent rêveurs. Non, les groupes de maintenant ne jouent plus comme cela. Et ne composent plus comme cela, non plus.
On va donc se régaler sur les titres les plus mortels de l’ère Sam Taylor, en alternance avec quelques perles plus in your face du respectable XV. Chacun ira d’ailleurs de son tour de chant, Tabor planant sur l’immense "Pleiades" ou, la voix plus échauffée, réveillant le merveilleux "It’s Love" en guise de rappel. Jerry Gaskill, plutôt rare au micro, nous régale de "Julie" la belle (sans toutefois lâcher ses baguettes), chanson attachante pour un batteur plus attachant encore. Quant à Pinnick, très en forme, il assure le show de A à Z, notamment sur "Over My Head" et son prêche central, passage obligé qui, peut-être, finira par casser les couilles à certains, mais qui remporte tout de même les suffrages par sa ferveur et sa générosité. Et généreux, le groupe l’est : trois rappels, moult jams débridées ("Over My Head", "Visions", "Moan Jam"), une sélection de morceaux qui – si l’on oublie les absents – déchire tout sur son passage ("What Is This ?", "Lost in Germany" et "We Were Born to Be Loved", la barre est placée haut) ; non, le public est loin d’être oublié. Surtout lorsqu’il chante à lui tout seul le break d’"Over My Head" ou – grand moment d’émotion sur la fin du concert – l’intégralité de "Goldilox" devant des musiciens presque intimidés.
Ce n’est donc pas un concert parfait ; mais ça reste, assurément, un très beau DVD. Le court Behind The Scenes paraît plus qu’anecdotique (deux minutes de collages sans intérêt). Toutefois, la présence de deux anciens live en bonus pose une question à laquelle, peut-être, on ne répondra jamais : qu’aurait donné une vidéo officielle sortie vingt ans plus tôt ? Certainement, ce Live Love In London aurait pâti de la comparaison… Ou peut-être que non. Ou peut-être aurait-il été bâti différemment, pour éviter d’être redondant ? Oui, dans un monde meilleur, King’s X aurait sorti en 2011 son deuxième, voire son troisième DVD live. Ce concert n’en aurait certes pas été moins bon ; mais il aurait perdu, peut-être, ce goût doux-amer de rendez-vous d’enfance raté, que des retrouvailles entre adultes ne ressuscitent jamais tout à fait.