On avait donc eu le Self Destruct Tour. Pour The Fragile, la tournée s’appellera Fragility Tour : le bonhomme tient debout mais quand même. Un paquet de dates une nouvelle fois, en deux temps, et donc le premier album live de NIN. Et comme d’habitude, Reznor ne sait pas quoi faire de son temps de repos, donc il se paie le luxe de rebosser certains morceaux de The Fragile pour livrer en 2002 un pack CD / DVD / VHS bien épais. Et vous savez quoi ? C’est pas du foutage de gueule pour un sou : le live est bon, et l'EP Still est délicieux. Parfait hein ?
[And All That Could Have Been]
Nine Inch Nails, en concert, ça devait défoncer des bœufs par quartier de 12. D’autant plus que, le leader avançant dans l’âge, il a su transformer la folie destructrice de ses débuts en expérience aussi visuelle qu’auditive, à grands coups de films projetés, de lights en tous genres, de fumigènes, et surtout un jeu de scène dynamique et déjanté. Ici, la setlist est relativement courte, 16 morceaux couvrant toutes les époques de NIN, avec forcément une place importante pour The Fragile. Tout est là, bien fait, les morceaux sonnent fatalement plus rock qu’en studio même si, prouesse notable, les machines adorées par Reznor restent très présentes dans le spectre. La raison ? Hum, le mixage est signé Reznor himself, et c’est loin d’être un manchot, et la prise de son est nickel. Overdubs ou pas ? Aucune idée, à priori non, quelques pains par ci par là, des vocaux parfois un peu légers, mais globalement c’est bétonné et hyper efficace.
Et si c’est bétonné et hyper efficace, c’est que le line up aligné sur scène est composé de mecs qui ont largement battu le pavé en concert : les deux vieux potes Charly Clouser et Danny Lohner, qui avaient déjà bossé avec Reznor pour les deux albums précédents, y compris en live, Robin Finck (le colossal guitariste déjanté qui a par la suite trainé ses cordes chez Axl Rose pour le fabuleux Chinese Democracy), un habitué de la maison, et Jerome Dillon en remplacement du batteur historique du groupe Chris Vrenna, parti faire autre chose pendant la dépression pre-The Fragile de son copain névrosé. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils sont tous en place et sacrément impérieux. Tout dans l'interprétation est parfait, carré comme en studio, avec une mention spéciale pour Dillon qui se retrouve à devoir remplacer les boites à rythmes invasives sur les albums du groupe : pas démonstratif mais époustouflant de cohérence, de feeling et de propreté, ce type est une machine qui épouse parfaitement les morceaux, il suffit d’écouter sa prestation sur "Wish" pour s’en rendre compte…
Sur le contenu à proprement parler, rien n’est à jeter. L’entrée en matière se fait en douceur avec un "Terrible Lie" somme toute assez classique, "Sin" est magistralement rendue, toute en tension et plus agressive que la version originale, "March Of The Pigs" est aussi barrée, Reznor complètement allumé passe du chaud au froid avec une facilité déconcertante. D’ailleurs sur ce point : il n’a jamais été reconnu comme un grand vocaliste du rock, il n’aurait sa place ni aux côtés de Robert Plant ni de Freddy Mercury, mais pour autant, le bonhomme maitrise incroyablement bien sa voix. Sur "Piggy" par exemple, il est toujours dans les clous, à la fois langoureux et hargneux. Au rayon des « fantastiques », "The Great Below" est une brique suintante de mélancolie lâchée à la gueule du monde, et NIN se permet d’enterrer la version originale, ici aussi grâce à la voix parfaitement en place qui charie encore plus de choses, notemment dans ces petites imperfections d’écorché vif.
Ensuite, "Gave Up" rendue encore plus furieuse par des backings entrainants et un groupe au taquet, tout comme "Head Like A Hole" qui justifie en moins de cinq minutes son statut d’hymne indus' et qui démontre que la formule de NIN, mix de pop, de rock, est tout aussi originale qu’imparable. "StarFuckers Inc." boostée par le format live est plus barge et méchante que sur The Fragile (ce refrain ! donnez-moi un marteau vite !). "Closer", "Wish", "Suck", "Hurt", des instrumentaux pour lier le temps, une grande cohérence dans l’enchaînement des titres, un groupe qu’on imagine sauter partout, donner des kicks, de la folie et des moments de douceur incroyables… En fait, le seul défaut de ce And All That Could Have Been est sa durée : vu la qualité du produit, une heure de plus, histoire de goûter à des arrangements de "We’re In This Together" ou de "Reptile", serait passé toute seul et aurait atténué l’impression de trop peu lorsque Reznor lâche un « thanks » en toute fin de "Hurt"…
[Still]
Reznor profite donc de la tournée pour proposer des titres inédits à son public, et des reprises « electro-acoustiques ». Ainsi "Something I Can Never Have" de Pretty Hate Machine est liftée, épurée, et s’il est amusant de constater que la voix du monsieur n’a pas bougé au fil des années, l’opération de dégraissage fonctionne magistralement : plus fine, plus intimiste, avec ses quelques notes de piano répétées ad lib, et, il faut reconnaître, ce qui est mis dans le chant, elle dépasse le simple statut de bonus-à-la-con en devenant une « vraie » nouvelle version. "Adrift And At Peace" est une courte instrumentale inspiré de "La Mer" (vous vous souvenez, le morceau sans chant le plus riche et le plus intéressant de The Fragile ?), comme une suite, ou plutôt une conclusion. Pas fondamentalement inestimable mais agréable à l’oreille, tout comme "Gone, Still", "The Persistence Of Loss" ou "Leaving Hope", les autres titres inédits de ce Still qui se trouvent là dans la logique développé sur The Fragile : offrir quelques pistes de respirations, belles, courtes, poétiques sans pour autant développer plus que ça l’idée de base.
Ce qui pourrait d’ailleurs paraitre étrange : pourquoi trouver une mélodie agréable et ne pas chercher à la construire, à aboutir… Bof, avec du recul, quand on écouté les 36 pistes de Ghosts, l’album publié en 2008 par NIN, on comprend que lorsque Reznor a des trucs en tête mais pas plus de temps que ça, il se contente de mettre à disposition des bouts de chansons et de nous laisser à notre imagination quant à ce qu’elles auraient pu être. En revanche, les reprises de Still sont bien plus intéressantes. On a parlé de "Something…" mais écoutez celle de "The Fragile" ! Le titre pop rock de l’album éponyme, avec son refrain galvanisant, ses machines, son enveloppe intense et dense, ce titre devient une ballade soutenue par un clavier discret, une nouvelle fois portée par Reznor efficace qui décharge une dose d’émotion à assommer un taureau. Le final, lorsque la basse et la batterie entre, à peine, sur scène, colle des frissons, la montée est envahissante, et presque meilleur que la version originale. C’est dire.
"The Becoming", originellement sur The Downward Spiral, est presque plus étouffante sans ses oripeaux métalliques bien que moins agressive. Là encore, le dépoussiérage offre une nouvelle version, un nouveau point de vue, ni meilleure ni moins bonne. Et que dire de "The Day The World Went Away", qui, légèrement dissonante, se transforme, mute, en une ballade poisseuse, mélancolique bien que lumineuse. Ici encore, on ne parle pas d’enterrer la version de l’album, mais juste d’une réorchestration intelligente qui modifie le goût en bouche, qui ne touche pas les mêmes organes. Et la pluie en fin de titre qui nous amène sur "And All That Could Have Been" annonce un jour grisâtre, ou l’introspection est de mise. S’il ne fallait garder qu’un morceau de cet EP, ce serait lui : développant une discours à fleur de peau, sensuel, plein d’abandon, il apporte autour des deux minutes, un sentiment d’urgence, de fuite, qui colle de partout. La montée est dans la suite directe de The Fragile, et quand Reznor lâche, la voix brisée, le dernier « Could Have Been » de la partie centrale, il n’annonce qu’une longue chute, une longue descente épineuse, pleine de sel et de larmes.
En clair : un live monstrueux dont le seul défaut serait d’être trop court, avec un son gros comme ça, pour une sorte de best of des familles interprété par un groupe au taquet et un Reznor très en forme sur le chant. Un EP avec des reprises magnifiquement arrangées et des inédits très sympas comptant parmi eux l’exceptionnelle "And All That Could Have Been"… Voilà un cadeau à se faire, ou à faire, et ce même si le double comprenant le live et Still est difficilement trouvable. Les deux CD valent largement l’investissement, votre corps vous remerciera pour tout ça. Pour une fois qu’on peut écouter NIN en ayant l’envie de s’enfouir sous une couette et pas de mettre fin à ses jours…