Il a craqué, et ce n'est pas le seul. Car l'époque est au déterrement de chef-d'œuvres, on s'en est maintenant largement rendu compte. Après Helloween et son dernier Keeper, Queensrÿche et son Operation:Mindcrime et quelques autres encore, c'est au tour de Tobias de dépoussiérer la légende Avantasia, qui avait en son temps été un franc succès, permettant à ce même Tobias de rentrer dans les hautes sphères du heavy par la grande porte. Le principe est ici le même : pléthore d'invités prestigieux qui vont se tirer la bourre, plus particulièrement derrière le micro. Un Opéra-metal que ça s'appelle.
Et comme dans tout bon Opéra-metal, l'amateur bavera lamentablement devant la liste des invités. C'est ainsi que l'on retrouve entre autres Eric Singer de Kiss à la batterie, Alice Cooper, Jorn Lande, Bob Catley au micro... L'affront ne vous sera pas fait d'être exhaustif, mais voilà, ça en jette. Et ça a bien évidemment le défaut de mettre une pression monstrueuse sur l'album qui va en découler! Décevoir avec un tel casting? Impensable. Mais causons musique un petit peu. Tobias a déjà eu le bon goût de ne pas essayer de refaire ce qui a déjà été fait, et pas que par lui, à savoir de l'épico-symphonique grandiloquent avec force chœurs majestueux et orchestrations travaillées, même si l'exercice s'y prette tout de même assez bien. Non, nous avons affaire ici à un heavy-metal somme toute bien traditionnel, plus posé qu'à l'accoutumée, lorgnant même parfois vers le hard-rock. Ainsi, les amateurs des speederies à tout va de Theater Of Salvation pourront rentrer chez eux. Ils auront tout juste un "Shelter From The Rain" bien classique à se mettre sous les dents, qui compte tout de même l'immortel Kiske dans ses rangs, ce qui suffira forcément à certains pour s'extasier de joie et crier au miracle. Mais le titre est bon de toute façon, et on sent le métier derrière. Pas transcendant, mais bon.
Voilà, ça y est, c'est dit. Prenez la dernière phrase du paragraphe précédent, appliquez-la à tout l'album, et la chronique est faite. Reste maintenant à expliquer le pourquoi du comment. Quelque chose qu'on ne pourra pas reprocher à The Scarecrow est son manque de variété. En effet, Tobias s'est fait plaisir en touchant à peu près à tout. Ca passe par un gros épique aux sonorités celtiques répondant au même nom que celui qui figure sur la pochette, avec son passage calme, son accélération finale, ses couplets posés, son refrain épique... Et c'est réussi! De loin le meilleur titre de l'album, avec notamment un Jorn Lande comme d'habitude magnifique. D'ailleurs, on sera heureux de constater qu'un des défauts majeurs des Avantasia précédents a été en partie gommé, à savoir que le lutin monopolisait un peu trop le micro. Mais reprenons. On trouve aussi des ballades. Oserait-on dire trop de ballades? Déjà, en placer deux à la suite n'est pas un choix que l'on pourrait juger fort judicieux. C'est pourtant chose faite avec "Carry Me Over" et "What Kind Of Love". Et on en trouve une autre plus loin, "Cry Just A Little". Bon, ne nous voilons pas la face, celles-ci sont loin d'être exceptionnelles. Pourtant, on est surpris d'y découvrir un Tobias dans un registre doux, n'abusant pour une fois pas de son vibrato et de ses aigus, et Dieu que c'est agréable!
Maintenant, si l'on prend ces trois ballades, le dernier titre "Lost In Space", la très hard FM "I Don't Believe In Your Love" (qui rappelle inévitablement Survivor ou Pride Of Lions), on a autant de singles potentiels. Et même si la fameuse phrase plus haut s'applique toujours, on aurait tout de même aimé un peu plus de fougue dans la composition. On en vient même à se poser la question des motivations de tout ça... Passer à la radio? Même si on ne le saura pas pour le moment, ça y ressemble fort, ou ça en a au moins le potentiel. Attention à ne pas prendre ces suppositions de travers, on n'écoute pas ici le dernier Bon Jovi. Mais ça y ressemble parfois. Les rares moments un peu plus osés sont d'ailleurs de qualité. La composition placée en ouverture est notamment assez surprenante, avec son riff arabisant avant de déboucher sur un refrain plus classique. Dommage... Il y a "The Toy Master" aussi, ou figure le fameux Alice Cooper. Et là d'un coup, entre tous ces singles, on se retrouve par comparaison plongé dans les ténèbres! Ce qui prouve que quand il le veut bien, Tobias est aussi capable de développer des ambiances fouillées et plus aventureuses. Si seulement tout le reste pouvait être de cette trempe...
Bref, en y réfléchissant un peu, on se retrouve finalement avec une suite logique de Rocket Ride entre les mains, soit un album d'Edguy avec une liste d'invités impressionnante là où on attendait... on ne sait trop quoi d'ailleurs, mais autre chose, c'est sûr. Ce The Scarecrow contient donc une suite de bonnes compositions, avec de bons chanteurs. Mais le manque d'unité et de cohésion entre les titres le dessert autant que sa variété lui permet de vivre, et l'on se retrouve à naviguer entre le chef-d'œuvre et le naufrage sans trop savoir sur quel pied danser. Ceux qui seront restés sur une impression mitigée à l'écoute du single "Lost In Space" ne seront pas rassurés, mais auront tout de même quelques merveilles à se mettre sous la dent. On en voudrait presque à Tobias d'être aussi talentueux...