Autrefois encensé, Tobias Sammet prend désormais cher à chaque nouvel album. Sa faute ? Outre quelques sorties moyennement inspirées dernièrement, c'est d'avoir prouvé qu'avec un peu de talent et beaucoup de métier, il est tout-à-fait possible de pondre un bon album par an, à défaut de chefs d'œuvre. Et ça, le fan de heavy, ça lui plaît pas (sauf si ça vient de Devin Townsend, mais lui c'est pas pareil, c'est un génial génie, tu comprends ?), parce que lui qui aime tant vanter le côté artistique du metal, souvent pour dénigrer les autres styles musicaux d'ailleurs, ben tout de suite la crédibilité en prend un coup…
Sammet l'a suffisamment répété, c'est la première fois qu'il enregistre avec un véritable orchestre. Et comme le bonhomme n'a jamais fait les choses à moitié, il sort la grosse artillerie dès le début avec des arrangements très chargés, limite lourdauds, ce qui fait que la machine a beaucoup de mal à se mettre en route. Alors quand débarque le refrain très typé hard FM, difficile d'échapper à la référence incontournable dans ce genre d'exercice : Meat Loaf bien sûr. Et comme si les cordes et le piano ne suffisaient pas, il y a même un peu de clavecin sur la fin, ce qui fait basculer définitivement "Spectres" dans le kitsch. Bref, pas terrible comme entrée en matière, et on craint alors que ne se répète l'expérience Age of the Joker, le dernier Edguy, incapable de décoller après un opener très moyen. Fort heureusement, les choses reviennent vite dans l'ordre grâce à "The Watchmakers' Dream", sur lequel Sammet retrouve sa gouaille légendaire, bien aidé par un Miro très inspiré aux claviers. Cette fois la machine est lancée et attention, ça va filer à toute allure.
En effet, la proportion de fillers s'est considérablement réduite par rapport aux dernières productions estampillées Sammet. Tout vaut le détour sur The Mystery of Time : du mid tempo classieux "Black Orchid" (wow, ce refrain !) à l'énergique "Invoke the Machine", du délicat "Sleepwalking" au heavy "Savior in the Clockwork", qui s'étend sur plus de 10 minutes avec son intro symphonique et son long break atmosphérique, c'est un quasi sans-faute. Comme toujours, la touche Avantasia est là avec cette variété dans les compos et cette véritable science des chœurs massifs sur les refrains. Et quand une baisse de régime se fait sentir, comme sur "Where Clock Hands Freeze", un titre de speed mélodique un peu bateau (moins bon que son cousin "Dweller in a Dream" en tout cas), Sammet a l'astuce qui va bien : le faire chanter par Dieu himself, alias Michael Kiske, qui n'a rien perdu de sa voix extraordinaire. Au final, seul le pavé final "The Great Mystery" déçoit : trop décousu, trop grandiloquent… Tout le monde n'a pas le talent de Savatage ou le grain de folie de Queen !
Mais Avantasia, c'est aussi un casting, qui n'est d'ailleurs pas aussi clinquant qu'à l'accoutumée. On craignait l'absence de Jorn Lande, le seul mec capable de rivaliser avec Sammet sur le plan du cabotinage vocal, LA marque de fabrique d'Avantasia. Heureusement, Joe Lynn Turner se défend pas mal non plus à ce petit jeu sur les deux premiers titres. Les vieux sont d'ailleurs de sortie puisqu'on retrouve Biff Byford (Saxon), magistral sur le break de "Savior in the Clockwork" après avoir peiné à trouver sa place sur "Black Orchid", ainsi que Ronnie Atkins (Pretty Maids), qui apporte un peu de baloches à cet album en dynamitant "Invoke the Machine". Et pour interpréter la jolie ballade "What's Left of Me", quoi de mieux que de convier le chanteur d'un groupe expert en la matière, en l'occurrence le fantastique Eric Martin de Mr Big ? Enfin, parmi les habitués, on retrouve Cloudy Yang qui atteint aisément des hauteurs hallucinantes sur "Sleepwalking", un beau morceau entre ballade et pop music, ainsi que Bob Catley qui assure le job sur "The Great Mystery".
Est-ce que Tobias Sammet serait en mesure de faire mieux s'il prenait davantage de temps entre deux sorties ? Pas sûr et qu'importe, puisque de toute façon, c'est sa façon de faire. Profitons plutôt du résultat puisque la qualité est cette fois au rendez-vous, après un double album un poil trop ambitieux et déséquilibré entre les deux volets. En dépit des deux morceaux moins bons placés aux deux extrémités, ce qui fait que The Mystery of Time ressemble à un hamburger avec du pain rassis, tout est du genre bonnard sur cet album. On reste donc sur la même impression que ces dernières années : et si Tobi était tout simplement plus motivé par Avantasia que par Edguy ?