Souvenez-vous, c'était il y a à peine 12 ans. Les jeunots d'Edguy mettaient un coup de pied dans la fourmilière heavy avec Vain Glory Opera, qui apportait un peu de fraîcheur à une scène bien encroûtée. Mais les temps ont changé, et Tobias Sammet, s'est progressivement mué en Christian Signol du metal (vous savez, cet auteur qui sort un bouquin par an, pratique pour offrir un cadeau à Mémé sans se creuser le ciboulot). Cette année, c'est carrément deux albums de son side project Avantasia que nous propose Tobi. Bref, c'est la fête… ou pas.
«Si Sascha et la maison de disques ne m'avaient pas supplié d'arrêter, je serais encore en train de composer pour un quintuple album !» Cette boutade, signée Tobi dans le Rock Hard n°98, est assez révélatrice de l'état d'esprit du joyeux lutin ces dernières années : peu importe la qualité, c'est la quantité qui prime, chez Avantasia comme chez Edguy. Emporté par une sorte de boulimie « artistique », la notion d'exigence artistique semble avoir complètement disparu de son vocabulaire. Le talent naturel du bonhomme lui permet encore de sauver les meubles sur The Wicked Symphony, qui contient une bonne poignée de morceaux tout à fait appréciables (pour vous donner un ordre d'idée, j'aurais été plus indulgent que mon estimé collègue Dupinguez et aurais évalué cet album autour de 13). Mais sur Angel Of Babylon, on peut chercher dans tous les sens, c'est la débandade quasi complète : direction artistique sans queue ni tête (mais que vient faire sur l'album "Symphony Of Life", un morceau bateau à la Within Temptation sans aucun rapport avec le reste ?), séparation avec Edguy de moins en moins marquée, et plus embêtant, les meilleurs morceaux atteignent péniblement le stade de « sympathique ».
Commençons par la liste des choses qui fâchent, et malheureusement il y a de quoi faire. Le premier grief n'est pas étonnant, puisque c'est en passe de devenir un classique : Sammet n'hésite plus à conserver les morceaux écrit en mode pilotage automatique. Au menu du soir : "Your Love Is Evil", du hard FM avec claviers et chœurs aux relents 80's un peu surannés ; "Alone I Remember", du hard US un peu groovy aux sonorités proches de "Monkey Business" de Skid Row ; ou encore "Rat Race", plus heavy que ses deux acolytes mais pas davantage inspiré. On passera rapidement sur la ballade, un exercice qui n'a jamais vraiment souri à Tobi. "Blowing Out The Flame" évite de donner dans le sirupeux, ce qui n'est déjà pas si mal, mais son côté hippie / feu de camp n'a rien de foncièrement extraordinaire. Idem pour "Symphony Of Life" qui, en plus de se retrouver là de manière complètement incongrue, tombe rapidement dans le putassier. Enfin, dès qu'Avantasia se prive des éléments les plus marquants de son identité, à savoir les arrangements chiadés et les chœurs massifs, on retombe en plein dans la sphère d'Edguy. Ainsi, "Down In The Dark" semble être le petit frère de "Nine Lives" sur Tinnitus Sanctus : quel intérêt ?
Heureusement, il reste quand même quelques titres pour relever un peu la tête. "Stargazers" est de ceux-là : certes, on est plein dans le Helloween-like, mais nombre de clones ne sont pas capables d'écrire des morceaux si convaincants. Et puis, avec le personnel présent sur ce titre, impossible de se planter : Lande cabotine comme un malade (comme sur les deux tiers de l'album) avec le talent qu'on lui connaît et Russel Allen assure comme un chef dans un registre différent de celui qu'il pratique. Et puis il y a le Maître : même quand Kiske se contente du prérefrain et le refrain, ça tue. Gros point fort de ce titre, ce changement de cap soudain : d'un ton plutôt guilleret, on passe d'un coup à une ambiance beaucoup plus pesante, un twist qui n'est pas sans rappeler "Mysteria". Dans une veine tout aussi mélodique mais un brin plus lente, "Angel Of Babylon" s'en sort également très bien, tout comme "Promised Land". Sorte de pendant de "State Of Matters" sur The Wicked Symphony, fils spirituel de "Down To The Devil" sur Hellfire Club, voilà tout ce qu'on adore chez Sammet : rapide, entraînant, et d'une énergie prodigieusement communicative. Ce genre de titres, on en redemande ; dommage qu'ils se fassent si rare…
La suite, on la connaît : conforté par les chiffres de vente qui s'annoncent une nouvelle fois satisfaisants, Sammet continuera sa parano contre la presse qui soi-disant le persécuterait (cf. la page d'accueil de son site) et pour la remise en question, on repassera une autre fois. A ce rythme-là, les fans risquent de poireauter un moment avec des albums en demi-teinte (voire carrément passables, comme celui-ci) avant de pouvoir apprécier un autre album véritablement abouti de sa part. Allez Tobi, à l'année prochaine pour le nouveau Edguy…