Les pronostics concernant l'inspiration de Tobias Sammet allaient bon train ces dernières années, après les sorties consécutives du dernier Avantasia en date, The Scarecrow, et de son homologue chez Edguy, Tinnitus Sanctus. Si le premier faisait preuve d'un tout petit peu plus de régularité, on pouvait déplorer chez les deux une inspiration en baisse, un classicisme certain dans les recettes utilisées, mais aussi saluer quelques fulgurances appréciables. Deux camps se sont alors bien logiquement formés : les optimistes (baisse d'inspiration passagère dûe à un sur-régime de composition) et les pessimistes (Tobi est cramé).
Donc quand le lutin nous a annoncé un double album, les craintes se sont amplifiées, ayant déjà vécu l'experience avec la doublette The Metal Opera. Deux albums constitués de compositions issues d'une seule et même session d'écriture, pour un résultat que l'on connait : un premier album passé au statut de culte, un deuxième beaucoup plus dispensable. Ici, le processus est pourtant différent. Certains diraient même plus alarmant. Car si Tobias avait effectivement écrit suffisamment de matériel afin de donner une suite à The Scarecrow dans la foulée de celui-ci, ces chutes de studio l'auraient soi-disant suffisamment inspiré pour y ajouter la même quantité et pouvoir sortir deux albums simultanément. Quand on connait la propension récente du père Sammet à ne pas savoir jeter ses titres faibles, il y avait effectivement de quoi s'inquiéter. Alors, vous le savez maintenant puisque vous êtes en train de lire cette page et que vous avez probablement lu la chronique de Angels Of Babylon (ou alors ça ne va pas tarder) : toutes ces craintes étaient malheureusement fondées. On dit souvent des doubles albums que si leur créateur avait su prendre le meilleur des deux, cela aurait constitué une œuvre qui serait restée dans les annales. Ici, on se demande carrément si en procédant ainsi, on aurait eu un seul bon album...
Car les recettes de Tobias semblent avoir toutes été explorées plus souvent qu'à leur tour. Un exemple tout bête : le coup du riff mid-tempo suivi de couplets posés sur des guitares plus calmes pour déboucher sur un pont puis un refrain épiques qui marquent le retour de la disto. Cette recette nous est servie dans pas moins de 8 titres rien que sur The Wicked Symphony. Oui, 8 titres. Sur 11, ça fait beaucoup et c'est un signe assez intangible de la perte d'inspiration qui plombe ces deux Avantasia. Et pourtant, vous êtes bien en train d'écouter la meilleure des deux cuvées. Du coup, vous serez bien en peine à trouver de la variété tout au long de l'album, car même si les ambiances varient un minimum, on enfile mid-tempo sur mid-tempo à un rythme désespérément lent, ennui oblige. Pour ne rien arranger, on se farcit sempiternellement les mêmes guests : je te sors du Jorn Lande à tous les étages parce que c'est mon grand pote, et vas-y que je te fais un duo avec Michal Kiske sur un titre speed pour faire bander le vieux fan aigri d'Helloween, et je te mets un petit coup de Dédé Matos sur une compo parce que lui aussi, c'est mon ami... Heureusement, à ce niveau-là, Tobi s'est un petit peu sorti les doigts du cul pour nous concocter quelques bonnes surprises, à commencer par Klaus Meine qui nous éclabousse de toute sa classe sur une compo pourtant très moyenne, "Dying for an Angel". Un mid-tempo, pour changer.
Il y a aussi le Tim Ripper Owens. Et c'est bien là où la démonstration de l'infériorité de ces deux dernières livraisons par rapport à The Metal Opera Pt I est flagrante (mais c'est valable aussi pour la deuxième partie). Car dans son premier essai, Tobias avait su construire une ambiance au service de son histoire, une atmosphère assurant une cohésion essentielle à l'ensemble tout en offrant une variété permettant de renouveler l'intérêt au fur et à mesure de l'écoute et offrant accessoirement à l'auditeur une porte d'entrée essentielle vers les concepts développés. Ici, on aurait soi-disant une histoire, mais pas grand chose pour s'y intéresser. The Wicked Symphony manque du liant qui en aurait fait plus qu'une succession de compositions isolées, sans grand intérêt, qui plus est. C'est là où le titre de Tim Ripper Owens interpelle : c'est de la composition pré-fabriquée pour chanteur lambda. Vu qu'on a le screamer en chef, on sort les riffs agressifs, un gros screaming d'entrée et en avant Guingamp! Même si le titre en question apporte une dose de cojones fort appréciable à l'ensemble, d'une part, si l'on veut écouter ça, on va se farcir les albums solo de Ripper, c'est fait pour. D'autre part, qu'est ce que ça vient faire au milieu d'un titre heavy speed avec Kiske et d'un mid-tempo hyper mélodieux avec Klaus Meine? Quel est le sens de tout ça? Tout le contraire de ce qu'on peut attendre d'un concept-album...
Malgré ce flot de critiques négatives, on en oublierait presque que tout n'est pas à jeter dans The Wicked Symphony. La power-ballade "Runaway Train" est notamment assez réussie et utilise pour une fois correctement sa liste d'invités dans une ambiance guimauve qui réussi généralement bien à Tobias ("Land of the Miracles"...). Grosse ombre au tableau : une auto-citation peu discrète sur la deuxième moitié, qui rappelle trop fortement "Judas at the Opera" pour passer inaperçue. "Wastelands", le titre speed avec Kiske, passage obligé (sic) de chaque Avantasia, passerait également bien si son intro n'était pas un gros pompage de "March of Time", ou même de pas mal d'autres speederies du père Sammet. Mince alors, pas moyen de trouver un vrai point positif non entaché d'une grosse trace de pneu. On pourrait aller le chercher dans le titre d'ouverture, mais l'introduction symphonique bien pompeuse et un refrain vu et revu nous en empêcherait assurément. Sans doute que The Wicked Symphony est irrémédiablement moyen... On en oublierait presque la pléthore de guests prestigieux, dont les performances sont pourtant de haute volée, à commencer par un Russell Allen toujours aussi talentueux. Jorn Lande en fait quant à lui toujours des caisses, mais son timbre de voix est d'une chaleur imparable. Mais tout cela ne suffit pas à rattraper des compositions dont la médiocrité est parfois masquée derrière des artifices qui ne trompent personne (certains effets vocaux sur "Crestfallen" ou "States of Matter").
Si Tinnitus Sanctus nous offrait encore quelques brulots rassurants, on cherche toujours la grosse tuerie qui pourrait sauver The Wicked Symphony du naufrage. Tout le savoir faire de Tobias est noyé sous la répétition des éternelles mêmes recettes qu'il nous sert depuis maintenant trois ou quatre albums et ça ne passe plus. La seule chose qui pourrait permettre à Tobi de se lancer dans une remise en question salvatrice serait un naufrage commercial de ces deux albums, mais malheureusement, il est déjà en train de se pavaner de positions avantageuses dans les charts... Ne nous reste que nos yeux pour pleurer.