Quelle (belle) surprise quand j’ai vu que Kill, album à travers lequel j’ai découvert ce groupe mythique en 2006, n’avait pas été chroniqué par Les Eternels ! J’ai donc vite sauté sur l’occasion pour vous décrire celui qui reste à ce jour, pour moi et beaucoup d’autres, un album culte, si ce n’est référence. Cette erreur doit immédiatement être rectifiée, et je me sacrifie avec dévotion pour endurer ce châtiment, dussé-je mourir par ce dernier.
Première chose importante à noter : la pochette est sobre. Ce qui constitue bien évidemment une rareté exceptionnelle dans la discographie des Floridiens, aussi épaisse que le cou de Georges Fisher, qui nous ont habitué à être censurés à chacune de leurs sorties. Peut-être un moyen pour contourner cette mise au ban ? Ici, apparaît un simple « KILL » sanguinolent qui, paradoxalement, peut inciter à une violence froide. Doit-on comprendre avec cette orientation graphique qui laisse pour le moins circonspect, que le groupe a emprunté un chemin musical du même ordre ? Pas du tout, et ça vous l’aurez compris au beuglement du « Corpsegrinder » dès les premières microsecondes de l’opus. Tout ça pour nous rappeler gentiment le titre de l’album ! Délicate attention à l’encontre des illettrés. Blague à part, "The Time To Kill Is Now" est une sorte d’introduction, d’une part en raison de sa durée dépassant d’un poil les deux minutes, et d’autre part pour son agressivité qui la place un peu hors-piste. Un déchainement de violence inouïe dans lequel aucun temps mort n’est permis et où l’on peut ne peut que s’incliner devant le débit de paroles du frontman qui atteint des niveaux record. La suite n’est pas pour autant calme et dépourvue de brutalité, quand vient le tube "Make Them Suffer", sûrement un des plus connus du groupe, et joué en quasi-permanence lors des représentations live du groupe. En revanche, elle ne peut espérer faire partie du top de l’album, car elle manque d’un minimum de saveur. Bonne, mais manquant de créativité et de percussion.
Cannibal Corpse, c’est surtout un son reconnaissable entre mille, un style de jeu particulier, un savant mélange entre du brutal death, du death technique et même un peu de progressif. Pour ce qui est de la première catégorie, on pense bien évidemment à l’introduction sauvage, mais aussi à "Purification By Fire," ainsi que la moins bonne de toute, "Maniacal". Assurément le bide de l’album durant lequel on assiste à une démonstration incessante de blast-beats. A mettre de côté sans hésiter. Elle a beau suivre le même schéma bourrin que "The Time To Kill Is Now", il y a une perte de qualité et de style évidente. En ce qui concerne la seconde catégorie, il est difficile de détacher une chanson en particulier, puisque tout l’album regorge de technicité plus ou moins visible. A la limite, il suffit d’écouter les soli de Pat O’brien présents dans presque chaque titre pour se manger un nombre de notes incalculable en pleine tronche. Enfin, la dernière catégorie, et peut-être la plus intéressante, se retrouve surtout dans "Murder Worship" et "The Discipline Of Revenge", qui sont des chansons au tempo plus lent et aux structures mieux construites. Elles font d’ailleurs partie des plus longues, et ce n’est pas un hasard. Autre point appréciable : les blast-beats ne prennent absolument pas la tête. Ils accélèrent parfaitement le rythme, mais ne viennent en aucun cas casser des ambiances ou l'ossature des morceaux. Bien utilisés, ils n’écrasent en rien le reste des instruments.
Et si nous parlions un peu des acteurs de tout ce massacre ? Eh bah oui, ce sont bien des humains qui se cachent derrière les instruments. Depuis The Wretched Spawn, une seule modification a eu lieu concernant le line-up. C’est l’éviction du guitariste Jack Owen, parti se consacrer exclusivement à son autre formation dont il est le leader : Deicide. Du coup, pour le remplacer, on a fait revenir un ancien de la maison, celui qui était présent sur The Bleeding et Vile : Rob Barrett. C’est donc une vieille connaissance qui permet d’apporter de la stabilité et son expérience au groupe. Mais c’est désormais du côté de l’autre instrument à cordes qu’il faut se tourner puisqu’un peu plus de la moitié de l’album est écrit par le maître incontesté du groupe, le bassiste et virtuose en chef : le prodigieux Alex Webster. Si vous voulez un ridicule aperçu de ses talents, écoutez les cinq premières secondes de "The Discipline Of Revenge" en mettant la balance de votre lecteur totalement à gauche. Il n’est pas seulement à l’origine de la plupart des compositions depuis 1988, c’est aussi lui qui se charge de l’écriture des paroles. Et au vu des titres, on peut se demander s’il n’a pas un sérieux problème mental pour imaginer cela. Aucune traduction n’est nécessaire, et je ne vous parle même pas des textes en eux-mêmes. Qu’attendent les réalisateurs et producteurs de film gore pour exploiter ce filon ? Heureusement que les gugus ne se prennent pas au sérieux.
Lumière sur deux pistes, sur deux chefs d’œuvre que l’on peut se délecter à écouter infiniment : "Death Walking Terror" et "Infinite Misery". Pourquoi ces deux chansons ? La première pour son côté prenant, oppressant, lourd, écrasant, angoissant, à la limite de la psychose (rayez la mention inutile). Et son côté thrash rafraîchissant est le bienvenu en plein milieu de l’album pour émerger de l’eau sous laquelle on veut nous noyer depuis le début. Pour une fois, les paroles ne sont même pas gore, mais dévoilent plutôt le côté psychopathe du groupe et, par la même occasion, de leur musique. Enfin, la deuxième chanson citée est déjà exceptionnelle pour son côté uniquement instrumental qui met un terme à cet album dans une ambiance des plus angoissantes et poisseuses qui puisse être. Seule "From Skin To Liquid" de l’excellent Gallery Of Suicide avait déjà été l’objet d’une piste sans vocalises. Le tempo est complètement ralenti. Aucun blast à l’horizon. On se sent englué dans de la vase. Et ce solo qui prend aux tripes et à la gorge. D’autant plus remarquable qu’il a le mérite d’être mélodique. Au contraire de ceux qui parcourent les quarante minutes précédentes, tentant de faire de l’ombre au record de vitesse de Kerry King. Ce sont quatre longues minutes de misère qui paraissent aussi longue que l’album entier. Tout cela, largement bien aidé par la magnifique production d’Erik Rutan.
Restant dans la droite lignée des disques de Cannibal Corpse, Kill est le dixième mode d’emploi en cas d’accès de rage et de démence envers votre belle-mère. Les années passent et ne semblent pas avoir d’emprise sur les « Cadavres Cannibales » qui nous balancent toujours autant de violence et de puissance tout en parvenant à renouveler leur composition. Et pourtant, ce qui est fort, c’est qu’ils ne sortent à aucun moment des chemins de leur death metal, et gardent exactement le même style au fil des années. Ce Kill vous fera assurément mal au crâne, si ce n’est plus. Maintenant, c’est à vous de voir à base de quelle chanson vous préférez que vos oreilles et votre cerveau soient torturés.