-Mesdames et messieurs, chers collaboratrices et collaborateurs, soyez les bienvenus à cette réunion. Je vous ai convoqu... invités afin de pouvoir échanger sur des bases de franchise et de bienveillance, dans un esprit constructif.
-Patron ? Qu'est-ce qui vous arrive ? Vous ne nous avez jamais parlé comme ça ! Vous êtes malade ?
-C'est votre rendez-vous d'hier chez les pontes qui vous a chamboulé ?
-Ah, Eve et Jarta, toujours aussi pertinentes ! Sachez que votre participation est d'ores et déjà très appréciée et je vous en remercie.
-Vous avez dit quoi, là ? « Merci » ?!
-Ah ah oui, bien sûr ! Il est temps maintenant d'aborder le sujet principal qui a motivé ce qui constituera à n'en pas douter un moment fort dans l'histoire de notre service.
-Un moment où vous ne nous insultez pas à chaque phrase, c'est même très très fort, je dirais. Et je profite que vous me donniez la paro...
-Je ne vous ai jamais autorisé à parler et arrêtez de m'interrompre, Cerumen !
-La bienveillance est en train de se faufiler vers la porte, on dirait...
-Tu vas te la prendre dans la tronche si tu continues à jacasser comme ça, nullité !
-Contentes de vous retrouver, patron. Vous nous avez fait peur !
-Ta gueule !
-À la bonne heure ! Votre blabla de manager bisounours pour naturopathes en sarouel, c'était flippant, la vérité.
-Ne faites pas les malignes ! Les résultats sont pourris et le big boss m'a demandé une amélioration «
immédiate et substantielle ».
-Comme d'hab', quoi.
-Sinon il me mute au département de Lutte Contre les Forces du Metal Symphonique.
-Au placard ? Condoléances, chef.
-Condoléances mon cul ! Vous avez intérêt à bouger le vôtre ou je vous envoie faire l'archivage des démos de gore grind qui moisissent au sous-sol depuis vingt ans !
-Vous ne feriez pas ça, tout de même ?
-Je vais me gêner ! Au boulot, feignasses ! Je me casse, j'ai assez vu vos tronches pour aujourd'hui !
-Il a tenu une minute et dix secondes.
Jarta, tu as une idée pour faire du chiffre et calmer cette andouille ?
-On m'a signalé un gros arrivage de black pagan en provenance d'Europe de l'Est.
-Bof, les copains de la douane s'occupent déjà de ça, la contrefaçon c'est leur boulot.
-On peut taper dans le milieu du speed metal retro, il y a du vivier...
-Et mécontenter les retraités ? Ces gens-là votent, tu sais. Le ministre va pétocher et on se fera désavouer par la hiérarchie.
-Tu proposes quoi, alors ?
-
Yngwie.
-Encore ? Ça va se voir, à force. Au bout de la vingt-deuxième fois...
-Les cravatés, ce qui les intéressent, ce sont les stats. Du petit délinquant à la carrière bien remplie mais qui ne les empêche pas de dormir, ça leur ira très bien.
-En même temps, ce n'est pas très compliqué comme taf. Y.J. n'est pas du genre à changer ses habitudes, il ne devrait pas être difficile à localiser. Tu as mis son dossier à jour ?
-J'avais prévu le coup, à vrai dire. J'ai écrit deux ou trois trucs...
-Tu veux dire que je ne vais pas être obligée d'entendre son dernier méfait ?
Eve, tu es une vraie sista !
-Je pourrais te demander un service pour t'avoir épargné ça ?
-Tout ce que tu veux, si tu as fait le job correctement. Vas-y, dis-moi ce que tu as trouvé.
-La plupart des morceaux débutent par un riff qui ressemble à une gamme exécutée à toute blinde, avant l'arrivée d'un motif heavy gonflé d'ornements. Puis Yngwie enquille des notes à fond la caisse sur sa stratocaster.
-C'est son mode opératoire depuis bientôt quarante ans, il va falloir un peu plus d'éléments pour le coffrer, sinon autant arrêter tous les shreddeurs en circulation.
-Arrête de me faire fantasmer,
Jarta et écoute-moi. Comme tu le sais, depuis maintenant une décennie et l'épisode
Spellbound, Malmsteen s'occupe lui-même du chant. Et là, on est clairement en présence d'une infraction caractérisée puisqu'il a mis une bonne dose d'écho pour masquer ses insuffisances - déficit de tenue et de puissance, principalement. Son manque de patate couplé avec des mélodies «
descendantes » pour cacher son incapacité à aller chercher les notes dans les aigus font que couplets et refrains sont complètement plats.
-Il a cherché à minimiser les faits, apparemment : seulement quatre titres chantés ?
-Oui. Mais les instrumentaux ne sont pas plus emballants. Alors qu'à ses débuts il était capable d'aérer ses solos, là c'est grosses draches d'arpèges sur déluges de sextolets – il nous fait une nouvelle crise d'incontinence, quoi.
-Il en a encore mis partout, je vois. Il n'était pas suivi pour une forme sévère du syndrome de Paganini ?
-Si c'est le cas, il n'a pas dû prendre son traitement depuis longtemps. Et avec une inspiration aussi peu, euh, inspirée, il devient scolaire. De moins en moins Paganini, de plus en plus Ševčík.
-C'est qui lui ? Un basketteur croate ?
-Laisse tomber. On ne t'a pas forcé à apprendre le violon, toi, ça se voit.
-Certes mais Malmsteen est encore guitariste, que je sache. Autre chose ?
-Une absence de variété, une fois de plus. Hormis une ballade au refrain hyper convenu qui évoque une version tronquée de "
I'm My Own Enemy" et une poignée de pistes mollement speed, c'est une succession de mid tempos basiquement martelés par une batterie sous-mixée – logique, c'est le seul instrument dont ne joue pas officiellement le mégalo suédois.
-Il s'est encore occupé de la production ?
-Hélas oui. Le son n'est pas horrible, mais entre les médiums brouillons, les aigus saturés et les nappes de synthés moches, l'enregistrement baigne dans une soupe pas très nette qui renforce le sentiment d'uniformité générale.
-Il n'y a rien à sauver ?
-Pas grand chose. Quelques accélérations, qui rappellent furtivement son âge d'or. Et sa dextérité, intacte, mais qui tourne à vide. Ses allers et retours main gauche qui n'arrêtent jamais, on croirait une épreuve de ski de bosses : c'est toujours la même chose, ça monte et ça descend, ça donne mal au cœur et ça se termine souvent par une gamelle.
-Tu marques dans ton rapport que sa dernière opération est particulièrement nuisible.
-Il l'a appelée «
Mer de la Tranquillité ». En fait «
tranquillité » signifie ici «
léger ralentissement du débit de quadruples croches ». Comme nom de code, il aurait pu choisir «
averses en Picardie à la Toussaint » : ça tombe dru, c'est monotone et on n'attend qu'une chose, que ça s'arrête. On se dit que le gredin va finir par se lasser, mais non, il répète en boucle le même motif pendant les trois dernières minutes. Ou alors il l'a joué une fois avant de le dupliquer en oubliant d'appuyer sur stop. Un fade out paresseux mais salvateur met fin au supplice – des types ont dû passer derrière la console, se sont rendus compte que quelque chose foirait et ont osé intervenir.
-OK. Voies de fait, flagrant délit et récidive. Le gars est en roue libre et ne se cache même plus. En plus, il se soulage en place publique, c'est dégoûtant. Viens, on va le choper. Tu sais où il crèche en ce moment ?
-On peut montrer la pochette aux passants, peut-être que certains vont le reconnaître.
-Ah ah, t'es une marrante, toi. Un dessin où il a la tête d'un post ado fin et émacié, c'est beaucoup trop éloigné de la vérité pour que quelqu'un puisse faire le rapprochement. Il n'a jamais ressemblé à ça.
-Oui, je plaisantais. À tous les coups, il est en train de refourguer sa camelote dans le quartier japonais. Là-bas, c'est son refuge, il est accueilli à bras ouverts.
-Et les oreilles bouchées.
-Ourf, elle est salée, celle-là, Eve.
-Tu vois une autre explication ?
-C'est juste qu'une fois ferré, le public nippon reste fidèle quoiqu'il en coûte. Bon, on récupère Herr Lannerbäck et on l'envoie se détendre en résidence surveillée, la sienne tant qu'à faire : Floride et grosses bagnoles, il y a pire comme programme de réinsertion. Ensuite on le relâche dans la nature pour l'interpeller à nouveau dès son prochain forfait. Une affaire qui roule.
-Et qui pédale dans l'insignifiance.
-Oui, il est carbo l'ami Yngwie. Quel gâchis.
-Depuis le temps qu'il est dans le circuit, il fallait s'y attendre.
-Au fait, tu avais un service à me demander, non ?
-Oui. J'avais une idée pour abreuver les pisse-tableurs de la Centrale : neutraliser tous les membres du gang de la Vierge de Fer. Mais seule je n'y arriverai pas.
-Tu n'as peur de rien, toi. Tu as pensé aux représailles ? Ces mecs ont des complices dans les hautes sphères, tout le gotha du metal leur lèche les...
-Meuf, quand on a survécu à un album de Malmsteen en 2021, plus grand chose n'est effrayant.
-Eve, tu es dingue. Je te suis.
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