Therion est le groupe de metal symphonique. Ses œuvres sont de parfaites définitions du genre et se situent au sommet: Vovin, Secrets of the Runes, la doublette Lemuria/Sirius B. Ces derniers cependant avaient le défaut d'être plus plats que le reste de leur discographie, en plus de souffrir de quelques longueurs. Comme si le groupe commençait à tourner en rond et que le manque d’inspiration se faisait doucement sentir. Therion se devait de rebondir sous peine de perdre de son statut.
Et rebond il y a eu lors de la sortie de Gothic Kabbalah. La pochette donne quelques signes que Therion change: des couleurs chaudes, une atmosphère orientale. Le changement ne sera que musical cependant, du point de vue thématique, Therion reste attaché à ses préoccupations ésotériques et occultistes. Le double album tourne autour de la vie de Johannes Bureus, un érudit suédois intéressé par la Rose-Croix et les systèmes runiques. Le changement a aussi lieu dans la répartition des rôles: exit Christofer Johnsson au chant. Pour ce disque, Therion n’engagera pas moins de quatre chanteurs qui se répartiront les lignes vocales. Parmi eux on retrouve Mats Levén, qui n’en est pas à sa première collaboration avec le groupe, et Snowy Shaw, le chanteur de Notre Dame, mais aussi un collaborateur de Mercyful Fate et King Diamond.
La présence de Shaw devrait donc vous avoir mis la puce à l’oreille, et vous laisser entendre dans quelle direction le groupe s’est engagé: le Heavy Metal. Alors qu’en 2007 la mode est aux pompeux, à la grandiloquence pour les groupes de metal symphonique, qui utilisent les services d’orchestres de plus en plus gros, de chœurs plus majestueux, Therion revient à l’essentiel et à ce qui est la source de tout: le heavy. Le groupe avait prouvé sa capacité à écrire des pièces symphoniques, emplies de chœurs et d’arrangements orchestraux. Sur Gothic Kabbalah, ce temps est révolu, et c’est bien évidemment la grande surprise de cet album. Les chœurs deviennent rares, les lignes de chant lead prennent le dessus. Et ce pour notre plus grand bonheur, tant les talents de Shaw et Levén sont mis à contribution (ce refrain sur "Three Treasures", "Son of the Staves of Time"). Quand aux prestations des deux cantatrices, elles sont tout simplement d’un niveau exceptionnel ("Son of the Staves of Time" à lui seul est une démonstration de leur talent).
Johnson prouve une nouvelle fois sa capacité à composer des chansons complexes. Gothic Kabbalah fourmille toujours de détails et d’arrangements. Cependant plutôt que de les mettre en avant, tous ces détails sont cachés au premier abord sous les lignes de guitares, qui deviennent alors prépondérantes et nous proposent plusieurs lignes mélodiques de qualité, voire même des parties de heavy traditionnel ("Three Treasures", "The Falling Stone"). La transformation de Therion en un groupe de heavy metal symphonique redéfinit complètement la musique, lui donne une nouvelle peau puisque son caractère d'identité, les orchestrations, est dépouillé, passe au second plan. Et si l’on ajoute cette touche orchestrale qui devient discrète, aux arrangements metal complexes, nous obtenons une musique beaucoup plus subtile que ce à quoi le groupe nous a habitué, certes différente, mais de qualité égale.
Car le disque possède bel et bien une ambiance, distillée avec finesse par les orchestrations sous-jacentes. Le nombre d’instruments utilisés dépasse le simple attirail metal (orgue Hammond, violon, flûtes, tambourin), et les compositions fourmillent de détails, parfois complexes (le refrain de "Der Mitternachtlöwe", "The Perennial Sophia"). Plus folk que ses prédécesseurs, le disque nous emmène au coeur du Moyen-Âge oriental, surtout sur le second disque. Therion semble ne s’être donné aucune limite pour cet album, qui est le plus divers des Suédois à ce jour: tour à tour grandiose avec l'énorme enchaînement "The Perennial Sophia/Wisdom and the Cage/Son of the Staves of Time" - ce dernier morceau étant d’une intensité mystique remarquable, revisitant son passé sur la pièce épique de 14 minutes "Adulruna Redivida", speed sur "TOF – The Trinity" ou encore envoûtant sur "The Wand of Abaris". Il n’empêche que le disque souffre de quelques défauts. Sans comporter une seule mauvaise chanson, certaines sont bien moins convaincantes que d’autres: la structure de "Trul" me semble bancale, quelques pieces sont dispensables car trop classiques: "Gothic Kabbalah", "Path to Arcady". Cet album de 80 minutes aurait mérité d’être amputé de quelques morceaux pour éviter d’inutiles longueurs.
Therion a évolué avec ce disque: moins symphonique, plus heavy mais toujours aussi mystique et grandiose. Il est compréhensible que ce disque déroute, néanmoins le virage pris n’empêche pas au groupe de proposer une musique de qualité, qui se paie le luxe d’être plus diverse, plus subtile et de ne pas perdre ses capacités d'évocation. Sa longueur, excessive car le disque comporte quelques morceaux moyens, handicape et rebute, mais Gothic Kabbalah vaut largement l’effort nécessaire.