On est quatre ans plus tard. C’est l’heure. Il faut admettre que le deuxième effet « Kiss Cool » du petit dernier, A Twist In The Myth, avait laissé en bouche une certaine amertume derrière l’explosion de saveurs de la fameuse nuit à l’opéra de 2002… Forts de ce constat, les bardes ont à nouveau revu leur approche de conception lorsqu’il a fallu se remettre au turbin. Cette fois, exit les expérimentations modernes, et retour à ce qui a fait le succès du groupe depuis ses débuts. At The Edge Of Time va ainsi être un genre de disque transversal, survolant et résumant vingt ans de carrière.
Mais ce qui marque plus profondément ce retour aux sources, c’est un revirement vers une musique d’ensemble plus complexe et, tout simplement, de meilleure qualité. Au paroxysme de son introspection, sur des titres comme "A Voice in the Dark" ou "Tanelorn", lesquels auraient pu figurer sur un Somewhere Far Beyond sans dépareiller, Blind Guardian retrouve un speed-metal totalement «dé-surproduit», et c’est à cet égard que le groupe surprend cette fois. Paradoxalement ces morceaux, dénués d’arrangements superflus, et produits sur un mode «rough» en ce sens par l’ami Charlie, ne seront pas nécessairement ceux dont la durée de vie sera la plus courte. On y retrouve notamment des mélodies vocales qui n’en finissent pas de dévoiler des richesses insoupçonnées, et des refrains grandioses - deux aspects par trop absents du dernier album.
Il y a donc tout de même des surprises. Parmi elles, la présence d’un véritable orchestre symphonique sur deux morceaux. Rien de bien novateur jusque là en vérité, mais au vu des prétentions de la musique du groupe, on ne peut que se réjouir de ce passage à l’acte. "Wheel of Time" s’inscrit donc comme le morceau-phare du disque, et le conclut, comme le faisait "And Then There Was Silence", sur une note épique et symphonique, sans atteindre toutefois son niveau d’intensité. "Sacred Worlds", de son côté, gagne en prestige et en profondeur de ce franchissement au véritable orchestre. Agrémenté d’une introduction et d’une conclusion très BO, le mid-tempo déjà entendu en version courte dans le jeu PC « Sacred 2 », s’offre à At The Edge Of Time en très belle pièce d’entrée, à laquelle "Wheel of Time" fait bien sûr écho. Voici la direction que le groupe emprunte, d’après Hansi ; soyons joie car cela est bon.
Entre ces deux extrêmes, les autres chansons ne sont pas en reste. Un élan progressif les soutient. "Road of No Release" construit en 6:30 une magnifique montée en puissance, culminant en émotion et en intensité lors d’un refrain à la fois triste et majestueux. "Valkyries" et "Control the Divine" arpentent des sentiers mélodiques déjà tracés sur A Twist In The Myth, avec un jeu de guitare lead caractéristique, mais se révèlent plus difficiles d’accès. "Curse My Name" est une ballade médiévale archétypique, finalement assez loin de ce que le groupe a pu proposer jusqu'alors, et gonflée d’un souffle positif qui fait plaisir à entendre. Les plans sont variés et les mélodies disparates, même au sein d’un même morceau, ce qui comme à l'accoutumée avec le groupe, décontenance au premier abord, puis fidélise.
Surtout que les idées ne manquent pas, en particulier en matière d’arrangements et de production. Les vents de "Wheel of Time", les percussions et les claquettes (!) sur "Curse My Name", la basse de "Control the Divine", la guitare acérée de Marcus sur "Tanelorn", le rythme infernal de "Ride into Obsession"… Le canevas est peut-être plus traditionnel sur le fond, mais finalement la richesse est bel et bien là, présente sur chacune des pièces. Hansi retrouve à l’occasion le chant rugueux de ses 25 ans, limite les envolées aigües, et se recentre sur des mélodies à nouveau novatrices, et des harmonies très soignées. Un régal pour les amateurs de cette voix si particulière.
Aucun remplissage mais les dix morceaux ne plairont pas à tous de manière équivalente, c’est certain. Peut-être que la force du groupe est de savoir se renouveler dans son propre fonds de commerce… Mais en attendant l’album orchestral, ou plutôt pour y faire suite, l’on se prend à imaginer ce que pourrait proposer Blind Guardian une fois définitivement débarrassé de son estampillage fantasy-ste… Vaine pensée sans doute.