Les Allemands de Krefeld remettent ça un an à peine après Tales From The Twilight World, et enfoncent le clou en 1992 avec un album plus abouti que son prédécesseur, qui va poser définitivement les jalons du groupe au sommet de la scène européenne. Somewhere Far Beyond raffermit en beauté le style de Blind Guardian et marque le début d'une série d'albums de grande qualité. Renfermant nombre de classiques, qui sont parmi les préférés des fans, ce disque revêt un aspect spécial aux yeux du groupe puisque c'est également le premier qui donnera lieu à une tournée mondiale.
La première chose qui frappe est l'artwork de l'album, réalisé par Andreas Marschall. Le groupe est habitué à soigner son image, cette cover en est la preuve. Pour info, vous retrouvez autour de ce feu de camp les narrateurs des différentes histoires qui vous sont contées au fil des morceaux, et qui illustre la ballade "The Bard's Song (In The Forest)". Car Somewhere Far Beyond est un album conceptuel, même si cela n'est pas évident au premier abord. Hansi Kürsch entend nous faire pénétrer dans un monde fantasmagorique, échappatoire à la réalité, habité par les personnages issus de l'imagination fertile de grands auteurs de la littérature ou du cinéma (pêle-mêle, vous y retrouverez Blade Runner, Michael Moorcock, Twin Peaks, J.R.R. Tolkien, etc.) qui ne sont au fond - outre l'hommage - qu'un prétexte, mis en avant pour permettre à Hansi de développer ses propres intrigues, et de nous livrer des considérations plus philosophiques et plus profondes sur le monde réel, laissant libre court à toutes interprétations.
Ceci étant dit, parlons musique. "Time What Is Time" s'ouvre sur une intro à la guitare acoustique et s'avère assez représentatif de la voie choisie par le groupe: un esprit progressif à la Queensrÿche dans la structure des compositions, qui alterne rythmes saccadés et cadences douces. Son refrain, comme dans absolument chacun des titres de cet album, est un hymne absolu, à chanter à gorge déployée pendant un concert. Les choeurs se font plus massifs et se fondent au coeur des morceaux; ils en font intrinséquement partie, à la différence d'un Rhapsody par exemple où ils ne font que seconder Fabio Lione et lui donner du relief. "Journey Through The Dark" et "Ashes To Ashes", les titres les plus véloces, correspondent également à cette description. Le mid-tempo "Theatre Of Pain" résume assez exhaustivement la richesse de la galette, avec ses claviers utilisés à bon escient, ses vocaux enchevêtrés sur son refrain, ou encore son magnifique solo de guitare. André Olbrich s'est transcendé et nous délivre sur plusieurs titres de superbes envolées mélodiques, en lead ou en solo: en tête, ce "Theatre Of Pain" - que vous pourrez retrouver dans une version orchestrale et moins " heavy " en fin d'album -, "Time What Is Time", et le génial "Somewhere Far Beyond", qui narre sur ambiance celtique les aventures de Roland le pistolero, que les amateurs de Stephen King connaissent bien.
Il faut aussi noter que cet album comporte ce qui est sans aucun doute LE tube de Blind Guardian, celui qui fait chavirer les foules en concert, à savoir la superbe ballade médiévale acoustique "The Bard's Song (In The Forest)'. Magique, tout simplement. D'autant qu'elle est suivie par un complément de choix: "The Bard's Song (The Hobbit)", qui en reprend la mélodie dans une mouture "heavy" avant l'arrivée salvatrice d'un refrain majestueux. Thomen Stauch construit sur sa batterie le squelette des morceaux, et son jeu sans faille est un atout indéniable pour une musique qui se veut aussi complexe. "Somewhere Far Beyond" est probablement l'une des meilleures démonstrations de son talent. Vocalement, Hansi a bien progressé depuis Tales From The Twilight World et a accentué le côté écorché de son chant, ce qui ne le gêne en rien pour monter ponctuellement très très haut. On le sent tout de même moins à l'aise que sur les albums postérieurs.
Ce petit bémol s'ajoute à une production encore trop frileuse, toujours en comparaison avec Imaginations From The Other Side et les suivants. La musique sonne plus brute et plus froide sur cet opus, bref plus "metal". Néanmoins, le style est bien mature, et sans atteindre le degré d'excellence de ses homologues hauts en couleurs, Somewhere Far Beyond constitue une bonne porte d'entrée dans le monde de Hansi Kürsch et de ses camarades, même s'il ne se laisse pas dominer facilement.