Blind Guardian, vous le savez si vous êtes un lecteur régulier des Eternels, fait figure de groupe " à part " dans la famille du speed mélodique germain. C’est l’un des rares combos issus de ce prolifique giron à revendiquer une identité propre et un style reconnaissable entre mille. Des structures alambiquées, une créativité mélodique impressionnante, un habile équilibre entre fougue et douceur, ou entre émotion et technicité, et tant d’autres qualités, ont fait au fil du temps de nos Allemands les gardiens d’une musique précieuse, intelligente, racée, fédérant à leur art une dimension supérieure qu’ils sont les seuls à appréhender. En 1991, après deux albums assez " naïfs " et plutôt moyens, déboule Tales From The Twilight World, disque-charnière dans la discographie du groupe, qui dévoile les prémices de ce qui deviendra par la suite le " vrai " Blind Guardian.
Car le groupe, enfin, trouve avec cet opus sa voix (sans mauvais jeu de mots). La tessiture de Hansi Kürsch s’est étendue et s’impose dès lors comme marque de fabrique du groupe. Tantôt enlevé, tantôt cajoleur, le chant du frontman dégage une formidable palette d’émotions, comme autant de sentiments écorchés qui s’échappent des personnages qu’il interprète. Ne vous y trompez pas, on est tout de même loin des futurs chefs d’œuvre que seront Imaginations From The Other Side ou Nighfall In Middle-Earth; ici, la tendance est encore au heavy-metal burné, mais la mélodie commence à prendre une place prépondérante dans la musique des bardes, et c’est en ce sens que cet album marque un tournant.
"Traveler In Time" s’inscrit d’entrée de jeu dans cette démarche. Dès l’ouverture du disque, breaks, débreaks et contre-breaks viennent insuffler une dynamique progressive à un morceau qui repose sur l’enchevêtrement de mélodies vocales. Les backings, autre signe distinctif, sont désormais assurés par la "choir company" qui accompagnera chacun des albums du groupe, même si la production leur laisse encore ici peu de place. L’hymne "Welcome To Dying", l’indéboulonnable des concerts de Blind Guardian, avec son refrain conçu pour être repris en chœur par le public, vient ensuite speeder le tempo, rejoint dans cet esprit par l’instrumental "Weird Dreams".
"Lost In The Twilight Hall" annonce la tournure épique des événements. Son break ambiant, instigateur d’une atmosphère dramatique, est de toute beauté. Il marque aussi l’investissement d’Hansi et ses progrès dans l’écriture de textes profonds et poignants, à divers niveaux de lecture. "Tommyknockers", malgré son riff de fou furieux tendance psyché ne restera pas dans les annales, à l’instar de "Altair 4", dont on se demande vraiment quel était l’intérêt de laisser un tel morceau sur le pressage final de l’album. Ce n’est en revanche pas le cas de "Lord Of The Rings", ballade où Hansi s’essaie dans un registre plus émouvant, hommage bien sûr à Tolkien. Loin d’être un déchet, cette version "power" ne fait cependant pas le poids face à la magnifique pièce acoustique et orchestrale qui ornera l’album The Forgotten Tales en 1996. "Goodbye My Friend" possède un refrain du tonnerre de Kron, mais la structure étonnamment poussive du morceau n’en fera pas un classique. La bonne surprise viendra de "The Last Candle", qui réunit en fin de galette tout ce que l’on appréciera sur les prochains albums de Blind Guardian: l’alternance des tempi, des chœurs flamboyants, des mélodies imparables, des soli limpides et une légèreté sans pareille pour un morceau "heavy". De quoi clore Tales From The Twilight World de bien belle manière.
L’album de la transition: quelques défauts de jeunesse, mais de beaux présages pour l’avenir. Il y aura en tout cas clairement eu un "avant" et un "après".