Pendant très longtemps, les fans français de Zakk Wylde qui déclaraient qu'un jour ils verraient leur idole tourner dans le pays n'entendaient que les rires gênés de leurs camarades, et ne croisaient que leurs regards compatissants. A force, l'idée leur est parue tellement absurde que beaucoup se sont fait une raison, et ceux-là se sont tournés, amers, vers le détestable Boozed, Broozed And Broken-Boned, faute de mieux. Mais un jour, la nouvelle est tombée. Le Black Label Society allait sillonner l'Europe, en n'oubliant pas cette fois-ci de larguer sa cargaison de décibels sur les planches parisiennes. Et mieux encore, le show qui serait donné à l'Elysée Montmartre serait entièrement filmé, pour être redistribué plus tard sous forme d'un DVD-témoignage de la tournée Mafia. Et bien vous avez quoi? Il vient juste de sortir... Et il est très bon...
Tous ceux qui ont assisté à cette tournée le savent : le rendu sonore des shows était particulièrement épouvantable. Du coup, en mettant la galette dans le lecteur, je me suis vraiment demandé comment les réalisateurs s'y étaient pris pour restituer quelque chose de cohérent, si toutefois ils y étaient parvenus. La réponse restera sans doute à jamais un mystère, mais le résultat ne laisse pas indifférent. C'est... étrange. Un peu comme si vous écoutiez derrière une porte. Vous êtes là sans vraiment y être, les basses et les bas-médiums saturent affreusement, et le chant de Zakk paraît presque irréel tant on sent qu'il devrait être absorbé par le reste, alors qu'il reste parfaitement audible. Cela étant, cette curieuse impression tend à disparaître au fur et à mesure que l'on s'enfile les morceaux, car la puissance qui s'en dégage nous fait rapidement passer à autre chose (comme l'admiration servile par exemple).
Niveau image, le boulot est tout à fait correct. Les plans sont dynamiques, et on ne perd pas une miette des prouesses de Zakk à la guitare. Quelle panard de mater sa collec' d'ailleurs, de la Flying Harpoon à petits pois de Randy Rhoads à l'ultra-célébrissime Les Paul cerclée, c'est un bonheur de voir se succéder autant de sublimes engins sur scène. Reste que les deux réalisateurs se sont un peu trop lâchés sur les effets « psychédéliques », qui polluent régulièrement les solos et les breaks, et qui tombent presque toujours à côté de la plaque. Heureusement, comme pour le son, ces petits désagréments disparaissent assez vite et passés trois-quatre titres on ne les remarque presque plus. Ce qui est bien, car ces considérations techniques ne doivent pas nous faire oublier une chose très importante : le concert parisien était absolument mons-tru-eux (que nos lecteurs anglophiles me pardonnent, mais je n'ai pas maté le concert donné à Londres).
Et ouais, cette tournée pétait vraiment le feu et n'importe quel individu entré ce soir là dans l'antre de l'Elysée Montmartre vous dira qu'il en a eu pour son fric. Pour rappel, je vais quand même vous citer les propos passionnés d'un individu qui a publié sur ce site un live-report brillant du concert donné au Luxembourg : « le Black Label Society en live, c'est le must absolu! Jamais je n'avais vécu un concert si artisanal, si peu réglé et formaté, et qui laisse tant de place à l'humain et à la musique, tout simplement ». Je n'aurais pas dit mieux. A Paris, c'est le même topo. Une chaude ambiance, tantôt musclée, tantôt intimiste, et une communion entre le groupe et son public qui fait plaisir à voir. Un peu comme si les caméras n'existaient pas. Et puis un mec. Un chevelu anonyme qui à un moment donné a eu assez de trippes pour monter sur scène, chopper la guitare de Zakk laissée à terre et finir le morceau comme si de rien était, solo compris, sous le regard étonné du maître (qui n'a d'ailleurs pas tardé à lui vider une pinte dans le gosier alors qu'il jouait). Le rêve humide de n'importe quel fan. Le quart d'heure de gloire avec lequel il va bassiner ses potes jusqu'à la fin des temps. Respect.
Si ce live est une tuerie, le reste est tout aussi sympathique. Pêle-mêle : des clips et des séquences backstage ou en famille (Hendrix regarde papa soulever des tonnes d'acier avant que celui-ci aille bosser). Les clips ("Suicide Messiah", "Fire It Up", "In This River") sont très cheap et franchement déroutants, comme d'habitude, et les backstages sont de continuelles beuveries ponctuées de délires shredd bien sentis. Ceux qui refusaient de croire jusque là que Zakk Wylde était alcoolique perdront leurs dernières illusions : Zakk boit, et ne fait que boire, à tout moment de la journée. Point barre.
Ne tournons pas autour du pot : ce The European Invasion Doom Troopin' est un très bon produit, pas trop mal conçu (ça change), si ce n'est évidemment la pochette, gerbante à souhait. Les fans ne devraient pas manquer l'opportunité de se jeter dessus, et les autres peuvent toujours y jeter un coup d'oeil, ne serait-ce que pour admirer l'un des guitaristes les plus racés de cette planète balancer des têtes d'amplis à vingt-cinq mille balles (et un bon paquet de kilos) dans une foule entièrement acquise à sa cause.