Surprenant à quel point l'ambiance et l'esprit d'un disque, d'un groupe, voire de toute une scène ou sous-genre peuvent être résumés en une seule photo. Celle que l'on voit au dos du livret de Lost Paradise en fait partie : Nick Holmes, arborant le logo de Confessor, le regard perdu et mélancolique, se balade dans un cimetière en compagnie de ses quatre jeunes comparses, qui semblent scruter le morne paysage environnant à la recherche de quelque chose à sublimer, à retranscrire, à créer... Le tout en noir et blanc, bien sûr. Il n'existe pas encore de musique à même de communiquer l'état d'esprit maniaco-dépressif qui semble les hanter, alors ils brassent ce qui s'en rapproche le plus et engendrent l'embryon d'une nouvelle scène. Lost Paradise, ou l'acte de naissance du metal de la mort et de la fatalité.
On pourrait longtemps spéculer sur les groupes qui ont inspiré le quintette d'Halifax: était-ce la solennité funéraire entrecoupée de spasmes de violence du To Mega Therion de Celtic Frost, le Leprosy de Death tournant au ralenti sur un magnétophone détraqué ou bien encore les expérimentations que menait en parallèle Winter, l'autre combo culte du doom/death. Une chose est sûre cependant : ceux pour qui Paradise Lost commence avec Draconian Times pourraient tout à fait se demander s'il s'agit bien là des même musiciens. Quelques rares éléments permettent toutefois de percevoir la patte du groupe : les parties de lead mélodiques portant l'empreinte inimitable de Greg Mackintosh, et cette atmosphère générale qui ne respire pas, pour ainsi dire, la joie de vivre.
Sinon, vous n'aurez le droit qu'à des riffs désespérément lents et glauques s'enchaînant avec des accélérations brutales, complétés par quelques solos dissonants et le growl typiquement death-metal de Nick Holmes, et les compositions qui en résultent sont, disons-le franchement, un poil bordéliques. Certes, le groupe a le mérite de s'éloigner des structures trop faciles ou classiques, mais il ne maîtrise pas encore parfaitement son sujet, il expérimente dans un domaine encore trop peu exploré, tout en se contentant d'appliquer la même recette de base à quasiment chaque morceau. Ainsi, le disque tient plus du death que du doom par cette approche un poil chaotique et, hélas, nuisant souvent à l'atmosphère. Rajoutez à cela une production un peu artisanale et très éloignée des standards, ne serait-ce que ceux de l'époque, les guitares rythmiques au son cradingue et brouillon, quelques défaillances dans les hurlements de Nick, et vous obtenez avec Lost Paradise l'archétype de l'album "juvénile".
Décortiquer ce genre de "pierres angulaires" met souvent le chroniqueur face à un cruel dilemme : insister sur le caractère avant-gardiste du méfait, son impact sur la musique et son influence sur tant de groupes à venir, ou bien ne le juger que par l'intérêt qu'il pourrait représenter aujourd'hui ? Votre humble serviteur a essayé de couper la poire en deux, à vous maintenant de choisir votre camp. Si vous êtes amateur de doom/death et que pour vous les petits grésillements donnent un aspect "roots" fort appréciable, alors cet album est tout désigné, de même si vous êtes juste un de ces grands curieux désirant remonter aux sources du genre. Dans tout autre cas, il serait mieux de laisser cet album au rang des disques de légendes dont on entend tellement parler sans jamais les avoir écoutés.