Quelque part entre le sempiternel rôti du dimanche en famille et la strip-teaseuse dépassée traversant avec douleur le cap d'une cinquantaine n'ayant connu que des excès. Voilà à peu près où se situe cet Angel and the Dark River, niveau « enficellement de la chose ». Car ce troisième album du groupe de Bradford est incroyablement mal ficelé. Heureusement, et c'est la différence avec le rôti et la dame, ce disque reste attachant.
L'album débute avec "The Cry Of Mankind". L'un des hits (sic) du groupe. Vous l'avez forcément vu joué en live si vous avez vu le groupe sur scène. Vous vous souvenez forcément de cette mélodie à six notes, lancinante, répétée sans cesse, encore et encore, sur laquelle s'ajoute un piano magnifique, un chant clair mi-chanté mi-parlé parfaitement envoûtant. Vous vous souvenez forcément de tout ceci. Eh bien My Dying Bride, en 1995, s'en contrefiche, de cette piste. Sur l'album, "The Cry of Mankind" se voit ajoutée une sorte d'intermède ambiant, minimaliste et chelou contre lequel vous ne pouvez pas lutter. Douze minutes au compteur, du coup, contre six dans sa version live. On attend la reprise. Elle ne vient pas. Ambiance. Qu'est-il donc passé dans la tête des compositeurs ? Pourquoi faire ça à la première piste du disque ? A l'une des meilleures pistes du disque ? Pas d'explication à ce jour. Imaginez que "Angel of Death", "Holy Wars" ou "Battery" se voient infiltrées par six minutes d'ambiance. Improbable ! Tout l’intérêt rétrospectif de cet album cuvée 1995 est ici : pourquoi. tant. de. choix. étranges ?! Car regardez, la seconde piste, belle comme tout, là n'est pas la question, regardez-là, cette seconde piste : incapable de garder son cap. Un plan en chasse un autre pour le seul plaisir d'aligner des plans, certes d'une efficacité et d'une mélancolie redoutable, mais qui n'ont rien à voir entre eux. A chaque mesure, c'est un lancer de dé : sur un six, on garde la ligne ; sur le reste, on se lâche comme des foufous et on change de plan ! Je ne vais pas vous faire un dessin : la moitié (si ce n'est plus) des pistes est affectée par cet étrange syndrome. Retour de l'ambiant improbable sur "Black Voyage". Successions sans queue ni tête sur "A Sea To Suffer In". Les mecs sont en roue libre. Je cite Fabrice Luchini (un génie) : « C'est la déglingue. »
J'aime ce groupe. Pour autant, je ne comprends pas certains choix, qui semblent relever d'un véritable manque de recul de la part de cette formation. Ce que je comprends, en revanche, c'est ce qui fait l'attrait de cette musique. Car il faut bien l'avouer, My Dying Bride est sans concurrence lorsqu'il s'agit d'affirmer une personnalité mélancolique, belle, et tristounette, bien que parfois terriblement clichée. Le parlé/chanté d'Aaron (pas de growl sur cet album !) reste à ce jour d'une solennité qui impose le respect. Déjà à l'époque, le duo basse / batterie assure ce rythme si particulier pour une musique lente (roulement de toms et compagnie). Espace lointain, My Dying Bride se distinguait alors par un violon qui, s'il n'allait pas sans ajouter au cliché des compositions, avait l'immense mérite de créer une ambiance plus-automnale-tu-meurs. Bref, si d'un point de vue purement technique et musical, cet album est pour le moins étrange (confère le premier paragraphe), il s'avère beaucoup plus cohérent d'un point de vue émotionnel. Le groupe vient seulement d'ouvrir la porte au fond du cimetière (cliché, mais cet album l'est de long en large - et c'est bien le reproche que l'on pourrait principalement lui faire !). Derrière cette porte : du corbeau, de la neige, du violon, des feuilles-mortes, des arbres morts, d'autres corbeaux, le Christ, une femme éplorée, un enfant en phase terminale (enfin, euh, peut-être pas quand même). Clairement, c'est aussi beau que ce n'est pas la joie.
Tel un dessin d'enfant, ce disque est attachant et maladroit. Le trait est inexistant. La logique va se faire voir derrière un buisson. Le soleil consiste en un quart de cercle jaune situé dans le coin supérieur gauche et les fleurs, la maison, les arbres sourient (pleurent, en l'occurrence). Pourtant, l'enfant est imaginatif. Cet petit être, encore insouciant, ne le sait pas mais il créé un univers à part entière, qui n'appartient qu'à lui-seul. A cet âge, d'autres enfants mangent encore de la colle.