En 1993, le magazine Hard Force pond une critique féroce contre le second album de la puissance émergente du doom-death qu’est My Dying Bride. Sur le moment, j’avais pris ceci comme une insulte personnelle, arrêtant d’acheter illico ce torchon. Comment ne pouvait-on pas aimer cette merveille ? Avec le recul, si je n’éprouve toujours aucun remords d’avoir arrêté de lire ce mag – ils avaient quand même pondu un article pour tenter démontrer par a + b que le hard rock, c’était mieux que le metal, les saloupiots… – le rejet que put provoquer Turn Loose The Swans était compréhensible alors.
Si As the Flower Withers, tout comme Serenades d’Anathema, avaient jeté les bases d’un style, Aaron et ses amis allèrent encore (beaucoup) plus loin avec leur deuxième travail longue durée, dans un monde métallique où les claviers étaient encore un peu vus d’un mauvais œil et où la douceur dans l'univers de la musique extrême était moquée. Vous imaginez bien par conséquent que la reprise 100% piano du mythique "Sear Me" du premier album allait faire hausser plus d’un sourcil, tout comme le choix du chant clair sur 80% de l’œuvre. Si quelques chœurs et vocaux effectués sans graviers dans la bouche étaient jusqu’alors bien présents sur les premières œuvres des groupes se lançant dans ce nouveau genre qu’était le gothic doom-death, le fait qu’Aaron cherche à chanter pour de vrai durant un album entier s’avérait être une vraie nouveauté. Bref, avant de profiter pleinement de l’album, il fallait, à l’époque, faire preuve d’un minimum de bonne volonté, mais une fois le bon état d’esprit acquis, la jouissance était garantie. Et elle l’est toujours, car Turn Loose The Swans n’a pas pris une ride. Mieux encore : il s’agit du patron de tout bon album de gothic doom-death classique encore aujourd’hui.
Compositions inspirées, violons à tous les étages, riffs lourds, ambiance mélancolique au possible, oui, tout y est, à l’exception notable du chant féminin, que My Dying Bride n’inscrira apparemment jamais à son programme. Aaron ne couine pas encore comme sur The Angel and the Dark River, et les titres longs et somptueux s’enchaînent sans aucune faute. S’il fallait retenir un morceau de l’album, il s’agirait évidemment de "The Crown of Sympathy", grand classique d’entre les classiques, merveilleusement équilibré, et doté d’un refrain en béton, mémorisable comme pas deux. Du coup, le retour à un chant 100% death et à des sonorités plus brutes sur le titre éponyme paraît presque incongru, mais dire que le titre est mauvais serait mentir. Turn Loose the Swans est un album à l’ambiance exceptionnelle, le premier mariage absolument réussi entre vraie finesse et brutalité, et également par conséquent, le meilleur album du groupe.
Impeccable. My Dying Bride réussit l’exploit de sortir un album à la fois parfaitement composé et équilibré, et d’un jusqu’au boutisme très novateur au début des 90s. Si on voulait être provocateur, on pourrait même affirmer que tous les albums du genre sont une cover de Turn Loose the Swans, il fallait que les nouvelles générations de doomboys le sachent !