-Jarta, tu es sur quelle affaire, en ce moment ?
-L'Ange Apatride.
-Wow. Respect.
-Ah bon, pourquoi, Eve ? Tu connais le dossier ?
-Non mais avec un nom comme ça, je me dis que c'est sûrement plus excitant que les trafics miteux de la Cavalera connection.
-Max et les ferrailleurs ?
-Ouais. On les a serrés je ne sais pas combien de fois mais ils ressortent en moins de temps que met Napalm Death pour balancer "You Suffer" et reprennent leur petit business en changeant d'identité. Une fois qu'ils ne peuvent plus se retenir de dire partout qu'ils sont de retour en ville, on les trouve, on les chope et ça recommence. À part gonfler les stats, je ne vois pas à quoi sert ce taf.
-Justement, il pourrait bien y avoir un lien avec mon cas.
-Quoi, tu fais du thrash avec des basse neo démodées depuis vingt ans en criant « jump! » à tout bout de champ ? Tu caches bien ton jeu.
-Pas moi, nigaude. Et c'est trente ans de retard.
-Tu m'expliques ? Parce que moi, l'«
Ange Apatride », ça m'évoque un justicier d'internet qui ferait des vidéos pour dénoncer des trucs pas bien que font les méchants politiciens élus par des gens bêtes.
-Raté. Mais tu n'es pas tombée loin. La fibre politique et sociale d'Angelus Apatrida est une constante depuis l'apparition du collectif espagnol il y a deux décennies. Dans sa dernière communication, il est question d'«
Age de la Désinformation », d'«
Empire de la Honte »...
-Ça balance !
-Persifle. N'empêche, cette facette engagée contribue à me les rendre sympathiques. Leur clip d'"Indocrinate" avec cette succession de visages en gros plan m'a touchée, vois-tu.
-Tu t'es attachée à des délinquants ? Des hors-la-loi ? Des anarchistes ? Des... Des cocos ?!
-Et pourquoi pas ? Ça changerait de tes peinturlurés du terroir qui refont l'histoire dans les sous bois de leur trou paumé en rêvant d'une société albinos. Mais non, hélas. Les gars dont je te parle ont basculé du côté obscur du thrash old school.
-Aïe. C'est si horrible que ça ? Parce que des fripouilles fatiguées qui jouent de manière approximative sur des tempos paresseux avec un son bricolo, j'en connais un paquet.
-Même pas. La production est bonne, les types sont compétents. Des pros.
-Où est le problème, alors ?
-Bénéficier d'une force de frappe de ce niveau pour aligner des plans aussi convenus, c'est un crève-cœur, un gâchis, un... crime. Il est temps de sévir.
-Tu sais, ils font tous ça, les thrasheurs, de nos jours. Les parrains ont déjà tout dit.
-Et
Vektor, qu'est-ce que tu en fais ?
-Hum. Toi, tu n'as pas écouté le dernier enregistrement des Nord-Américains...
-Si, justement - il me déprime, ce split. Raison de plus pour croire encore en Angelus Apatrida - pour leur septième essai de longue durée, je croyais que le quatuor allait s'amender, passer un cap. Sortir de ses vieux schémas.
-Lesquels ?
-Ceux qui avaient la cote au tournant des années quatre-vingt-dix. Rythme speed de bout en bout, scansions mitraillette sur les couplets, refrains simplistes façon mots d'ordre de manif... Comme
Sepultura, justement.
-Ah oui, c'est pas neuf. Qu'est-ce qui les distingue des sympathiques mais limités collègues polonais de
Terrordome, par exemple ?
-Les breaks trop longs. Ces moulinages interminables avant le solo de l'agile David Álvarez étirent inutilement les morceaux et en diminuent l'impact.
-Ça fait plutôt
années 2010, si je puis faire remarquer.
-Je sais. C'est ballot d'avoir pris également ce tic-là, en plus des
autres.
-Et le chanteur ?
-Et pourquoi pas une chanteuse ?
-Sérieux ?
-Non. Dans le thrash, le quota doit être de une pour mille, tu aurais eu du bol. Le surnommé Polako, un bonhomme, donc, imite les vocalistes des darons du genre - il n'en est pas à son coup d'essai, il avait fait la même chose sur la
réalisation précédente. Sauf que là, il a entraîné les autres avec lui. Sur "Indoctrinate", on croirait entendre Phil Anselmo époque
Pantera et du coup ses potes repiquent les rythmes de "
Fucking Hostile", alors que "Through the Glass" lorgne vers "Rise".
-Ça change...
-"Bleed the Crown" ressemble à du
Testament avec un Chuck Billy assez crédible. Parfois, les mecs font des mix : "The Age of Disinformation", c'est
Exodus qui fait une brève incursion melodeath tandis que "Childhood's End" débute comme du
Kreator eighties, continue sur une accélération à la
Anthrax/
Nuclear Assault avant que les gars lâchent un refrain en voix claire à la
Metallica période
Load.
-C'est varié, au moins.
-Détrompe-toi. Les références ne brillent guère par leur diversité... Sur "Into the Well", l'attaque en médium et le motif un poil plus mélodique que d'habitude avec guitares harmonisées font croire en conclusion à quelque chose de différent. Puis le tabassage et les digressions reprennent le dessus.
-Ils ont l'air agressifs, tes gus.
-Ce ne sont pas les derniers pour la baston, c'est sûr. Ils font ça proprement. Mais sans aucune originalité.
-Comment ont-ils appelé leur méfait ?
-
Angelus Apatrida.
-L'imagination au pouvoir...
-Alors, Eve, tu trouves toujours que c'est la « classe », Angelus Apatrida ?
-Je suis un chouïa moins emballée, je dois l'admettre. Néanmoins, ces brutes retro font du boulot correct.
-Si le thrash se résume à une succession métronomique d'uppercuts au foie et de coups de boule dans le pif, pas de doute, les quatre d'Albacete sont les hommes de la situation. Tu me permettras tout de même de trouver le mode opératoire un brin répétitif.
-La diversité n'est pas leur marque de fabrique, on est d'accord. A contrario, quand il s'agit de reproduire les schémas inventés jadis par les grands maîtres, ils n'ont pas beaucoup d'adversaires.
-« Jadis » ? « A contrario » ? Qu'est-ce qui t'arrive, Eve ? Tu apprends l'italien, maintenant ? Non, attends : tu as lu un livre !
-Je révise pour les concours, je ne vais pas rester toute ma vie à pondre des rapports sur des thrasheurs rasta, nom d'un bend ! Pour me réacclimater à la lecture, j'ai commencé avec un recueil des textes de Pain of Salvation...
-Ouh là là, tu prends vite la confiance, toi.
-Tu as raison, je vais plutôt me mettre à l'italien.