Ami lecteur, tu ne peux sans doute pas imaginer les risques que je prends en écrivant ces quelques lignes. En effet, on n'empiète pas impunément sur les plates-bandes de mon impitoyable collègue Bigduff, mais c'est pourtant ce que je m'apprête à faire au nom du droit universel à l'information. J'entends déjà ses terribles cousins albanais frapper à ma porte, mais il me faut rétablir publiquement cette terrible Vérité : le 1er album de Megadeth ne casse pas 3 pattes à un canard…
Cette petite introduction risque de surprendre ceux qui ont découvert cet album via la réédition de 2002, celle avec la très énervante version bippée de "These Boots". Elle étonnera sans doute beaucoup moins ceux qui sont restés à jamais marqués par l'édition originale, et qui auront attendu un paquet d'années avant de s'apercevoir que sous une épaisse bouillie sonore se cachaient pas mal de bons riffs et quelques soli qui valaient le détour. La raison de ce secret ? Elle est simple : une production originale particulièrement affreuse. Il existe pas mal de légendes autour de Killing Is My Business, et notamment celle qui veut que le groupe ait cramé la moitié des 8000 dollars de budget en substances illicites, entraînant la démission du producteur. Ce fut donc nos 4 camés qui enregistrèrent eux-mêmes l'album, pour le résultat que vous savez. Pour le coup, la version remasterisée s'impose, même si on regrettera la disparition de l'angoissante pochette originale.
On ne va pas revenir sur la genèse de Megadeth, et notamment sur l'intarissable rage intérieure qui n'a jamais cessé de dévorer Dave Mustaine. Le rouquin l'exprime très clairement dans les liner notes, avec cette fameuse phrase : « When I left New York, after getting fired from Metallica, all I remember is that I wanted blood. Theirs ». Puis d'ajouter une phrase qui en dit long, et qui résume à elle seule les atouts et les limites du premier effort de Megadeth : « I set out to make my new band faster and heavier than theirs ». Et effectivement ce n'est pas la fougue qui manque sur Killing Is My Business. On peut même dire que ça pète de partout, que ça riffe dans tous les sens et que les soli fusent de toutes parts. Mais pour avoir un morceau cohérent, vous repasserez ma bonne dame. Hormis l'excellent "Looking Down the Cross" et un "Chosen Ones" qui sonne très Judas Priest, c'est l'anarchie. Il y a aussi "Mechanix", mais on aura tout le temps d'y revenir.
Killing Is My Business, c'est surtout l'album des occasions manquées, où les passages hasardeux viennent plomber les bonnes idées. Pour "Love You to Deth", c'est une partition de batterie bien bancale qui fout en l'air l'excellent riff (alors que Samuelson est extraordinaire sur "These Boots" par exemple). Pour le morceau titre, c'est une juxtaposition de riffs trop hétérogènes qui fait que le mélange ne prend pas, alors que les différents plans sont paradoxalement plutôt réussis individuellement. Quant à "Rattlehead", il ne se passe tout simplement rien sur ce titre qui se contente de foncer la tête la première sur un riff plat. On relèvera néanmoins, outre quelques soli de premier ordre, un plan lent qui laisse augurer la mythique fin de "Wake Up Dead". On est presque surpris que sur "The Skull Beneath the Skin", après une excellente intro qui rappelle "Immigrant Song" (on attend désespérément le cri de Robert Plant) suivie d'un riff 100 % Mustaine, rien ne cloche (hormis un solo final un peu moisi).
Par contre, on ne peut parler de Killing Is My Business sans évoquer "Mechanix". Rappelons pour les profanes que ce morceau, écrit par Mustaine du temps où il officiait chez Metallica, n'est autre que la version originale de "The Four Horsemen". Il s'agit donc du symbole le plus sensible de la guerre opposant les fans des 2 clans. Oui, la guerre : vous trouverez bien des gens qui vous affirmeront qu'on peut être fan des 2 groupes (des centristes sans doute), mais à un moment il faut choisir son camp camarade. Comme s'il était possible de supporter à la fois l'OM et le PSG... Bref, nous ne sommes pas là pour raviver la polémique (qui n'a pas lieu d'être puisque tout le monde sait que Metallica enterre régulièrement Megadeth depuis 25 ans), et tenons-nous en aux faits. La version ici présente est sans concessions : vous n'y trouverez pas le fameux passage lent, mais au contraire un tempo complètement débridé qui fait du bien là où il passe. En revanche, le solo final n'atteint pas celui de Kirk Hammett, qui est parvenu à véritablement poser sa patte sur les bases jetées par Mustaine.
Malgré quelques bonnes idées efficacement remises au goût du jour sur la version dépoussiérée, Killing Is My Business reste un album inabouti. Enfin libre et débarrassé de l'encombrant tandem Hetfield/Ulrich, Mustaine n'est pas tout à fait parvenu à tirer le meilleur parti de plusieurs riffs de première main. Un album mitigé, mais un parfait témoignage de l'époque où le bouillant rouquin n'était alors qu'un jeune chien fou, aussi incontrôlable que ne l'était son chant sur cette première galette. À écouter tout de même, pour la Légende.