Si on me demande, je ne le trouve pas mauvais, ce nouveau single... Pas mauvais du tout, même. Je veux dire, quoi que fasse le combo, le retrouver est toujours une joie, non ? Je ne vois pas en quoi la surprise dérange. Pourtant, la communauté toute entière semble agitée de violents flux et reflux : un mélange de déception, de plaisir, de haine, de sentiments contradictoires... l'opprobre est jetée sur le groupe : « trahison » crient les plus anciens. Pourtant mince, il est très bien, ce single. Plus simple, plus direct, il est clairement radiophonique, et alors ? Ce refrain qui se coince entre vos deux hémisphères céphaliques, il ne vous donne pas la patate à vous ? Il ne vous donne pas envie de danser ? Non vraiment, ce "Get Lucky" est plaisant ! Hein ? Quoi ? Comment ? Oh... Super Collider... et moi qui croyais que.... bon... si vous insistez...
On aurait pu se tromper de bataille tant les deux phénomènes - "Get Lucky" vs. "Super Collider" - sont proches... D'un coté, les Daft Punk reviennent cet été avec un album qui s'éloigne de leur son habituel pour adopter une musique bien plus conventionnelle. Tollé. De l'autre, Megadeth - qu'on ne présente plus - dévoile son quatorzième album, après un Th1rt3en aux allures de patchwork et au bilan mitigé. Dès lors, qu'attendre de Super Collider, la nouvelle livraison ? Les attentes / espoirs de chacun : c'est là qu'est le nœud du problème. Car Super Collider en est un beau, de problème : avec lui, tout est question de référentiel. Si vous attendiez une éruption thrash comme l'avaient été les premiers opus, de Killing... à Rust In Peace, vous pouvez retourner chez vous et écouter Endgame, opus récent le plus à même de satisfaire vos envies. Toutefois, sur Super Collider comme sur Endgame, le subalterne Broderick reste globalement peu marquant. Faute de feeling particulier (encore que certaines apparitions sont les bienvenues), il faudra se contenter de plans techniques. C'est déjà ça. En revanche, si la facette mélodique et plus simpliste d'un Youthanasia ou d'un, hum, Risk (le mot est lâché) vous attire, alors vous pouvez donner sa chance au Super Collider. La moitié de l'audience - si ce n'est plus - n'est donc plus de la partie pour prêter attention à ce nouveau disque, un album qui, décidément, entre chœurs guerriers ("Built For War"), intro bluesy ("Don't Turn...") et pistes de banjo (sur "The Blackest Crow", sympathique à défaut d'être essentielle), joue la carte de la surprise et mélange les genres comme jamais depuis Cryptic Writtings.
La surprise, c'est d'abord cet artwork, coloré et pas agressif pour un sou. Vic Rattlehead ? Au placard et cantonné à la quatrième de couverture ; un peu à l'image des éléments thrash, eux aussi distillés à faible dose et cantonnés sur "Kingmaker" (trépidante entrée en matière), "Dance In The Rain" (qui rappellera le morceau-titre d'Endgame mixé avec un bout de Peace Sells...) ou "Don't Turn Your Back" (lourde et grave - adaptée au chant, désormais rocailleux et sans envolées). Des passages un peu plus furieux que la moyenne du disque qui, loin de faire tâche, rappelle que le rouquin en conserve un peu sous le pied. Seulement voilà : le pur thrash - et ce n'est pas une révélation - n'est plus ce qui l'excite. Car la surprise est aussi musicale, et ce dès la piste éponyme, dévoilée en avant-première. Car "Super Collider" est un tempo plus que mid, avec son power-chord toutes les 4 secondes et sa basse groovy au service d'une structure couplet-refrain plus simple qu'une intrigue d'un épisode de Dora l'exploratrice. Nouveau tollé : c'est ça le Megadeth de 2013 ? Est-ce le groupe responsable de Peace Sells... ? Scandale. Ça et "Get Lucky" qui déboulaient en même temps sur la toile, c'était décidément un coup à faire lâcher les serveurs du monde entier. Pourtant le morceau - s'il n'est pas vif-vif pour du Megadeth, certes - est une réussite. Les lignes mélodiques sont bonnes malgré leur simplicité et le refrain reste en tête. A partir de ce morceau, le point de non-retour était déjà franchi et plus rien ne pouvait plus empêcher le semi-drame qui allait se dérouler. Autant dire que certains vont avoir du mal à s'en remettre.
Loin d'être un tir isolé, "Super Collider" annonçait la tonalité générale du disque : mid-tempo, mélodique, hard-rock... Super Collider est un album posé. Mou de la teub', ne se privent pas de dire certains. Du Cryptic Writting dans l'esprit et du Risk dans le texte. Avouez que pour se saborder, Megadeth n'aurait pu mieux tomber. Dans l'esprit du morceau-titre, "Off The Edge" et "Beginning of Sorrow", écrite en 4 heures (comme "In My Darkest Hour", mais loin d'en atteindre la cheville) sont discrètes et risquent de perdre des auditeurs en route : trop molles, trop convenues, trop plates, trop impersonnelles. A mi-chemin entre ce genre de morceaux faciles et les quelques thrasheries suscitées, "Burn!" se ramasse sur un hard-rock racoleur et peu ravissant (ah ! ce « Burn, baby burn ! 'Coz it feels so goooood ! » : ou l'art de donner le bâton pour se faire battre) tandis que "Built For War" fait saillir ses grossiers muscles. Le chant y est faussement agressif et clairement à la peine (alors que Mustaine s'en tire globalement bien sur l'ensemble du disque), le refrain - mauvais - est répété à l'envi et le riff, basique, est médiocre. Cette séance de bodybuilding semble factice et hors-propos : on oubliera bien vite cette piste. Heureusement, lorsqu'il assume pleinement sa direction musicale, comme sur "Forget To Remember", qui lorgne vers le Nickelback, Mustaine confirme son talent de songwritter et balance l'une des réussites de l'opus. Car il y en a, quoiqu'en dise les détracteurs, et celles-ci se trouvent tant dans les parties les plus métalliques que dans celles plus aguicheuses.
Super Collider est un nouveau revirement dans la carrière de Megadeth. Si Endgame et Th1rt3en, dans une moindre mesure, restaient marqué par le thrash d'antant, Super Collider verse, comme autrefois, dans une veine plus mélodique, à l'instar de la triplette Youthanasia - Cryptic - Risk. Et comme naguère, certains seront convaincus tandis que d'autres crieront au scandale. Tout est question de référentiel. Dans l'absolu, pourtant, Super Collider est loin d'être mauvais et possède son lot de passages tout à fait honorables. Seul problème, outre la question de style : la durée de vie. Les morceaux étant simples et directs, ils prennent le risque de s'émousser plus rapidement que de coutume. Mais le temps jugera pour nous et, d'ici là, apprécions ce nouvel opus, qui s'il n'est pas le chef d'oeuvre vainement espéré, n'est pas non plus la honte décriée un peu partout.