Pour les pères fondateurs du thrash, le problème est le même que pour les papys boomers : on a longtemps agité le chiffon rouge des retraites, mais aujourd'hui la question se précise de plus en plus. Après Slayer qui fut le premier à évoquer clairement le sujet, c'est au tour de Dave Mustaine, 48 printemps au compteur, d'aborder ce point sensible dans le Rock Hard n°90 avec cette phrase : « Je veux finir ma carrière sur deux excellents disques. Avec Endgame, j'en tiens déjà un.» Prometteur ? Oui, pour celui qui croit encore au discours promo bien rôdé…
Comme chaque album depuis le controversé Risk, Endgame nous est vendu comme le retour aux sources du grand Megadeth qui aurait subitement retrouvé ses jambes de 20 ans. D'ailleurs, l'album démarre par un court instru d'environ 2 minutes 30, comme So Far So Good… So What en son temps, alors hein, si ça c'est pas une preuve tangible d'abord… Ce serait oublier un peu vite que Megadeth a eu une seconde vie dans les 90's, plus calme, plus posée, plus mélodique aussi. "Dialectic of Chaos" résume parfaitement cette dualité : car non, en aucun cas malgré les apparences, il ne s'agit du successeur 20 ans après du sauvage "Into the Lungs of Hell". Ici, on commence par un riff heavy pépère qui n'est pas sans rappeler Running Wild (ceux qui ricanent dans le fond ont le droit d'aller réécouter "Running Blood"), avant de partir dans un déluge de soli annonçant déjà un des traits caractéristiques majeurs de l'album.
Le véritable coup d'envoi de l'album, c'est donc "This Day We Fight", qui démarre sur les chapeaux de roues sitôt l'instrumental fini. Et là, effectivement, c'est un retour en arrière absolument pas voilé : ça speede, ça tricote, ça balance du solo à tire-larigot, et ça trouve encore le moyen d'appuyer sur l'accélérateur à la fin. Ça ne restera pas dans les annales parce qu'il aurait fallu faire péter un refrain digne de ce nom pour cela, mais c'est plutôt pas mal pour un apéro musclé. A ce moment-là, on se dit que la machine est lancée et va monter en puissance ; quelle naïveté les enfants… Parce que la suite, c'est "44 Minutes", un morceau au riff heavy affligeant de banalité et doté d'un refrain mielleux sûrement laissé de côté sur les sessions de Youthanasia. L'orientation d'Endgame est claire : c'est la synthèse générale, le consensus mou. Venez les fans, quelle que soit votre période favorite, y en aura pour tous les goûts…
On va laisser tomber les comparaisons avec Peace Sells, Rust In Peace ou même Countdown To Extinction : cela n'aurait aucun sens, l'époque et les circonstances ont changé. On va même être indulgent et ne pas reprocher à Mustaine de ne pas faire bouger sa formule d'un iota : on peut trouver ça dommage, mais il est assez compréhensible que quelqu'un qui a développé son propre style puisse rechigner à l'idée de tout modifier au bout de 25 ans de métier. Mais dans ces cas-là, on ne demande qu'une chose, une seule : qu'il fasse correctement ce qu'il est censé savoir faire. Posons donc la question clairement : pour un disque frappé du sceau Megadeth, Endgame est-il un bon album ? La réponse est évidemment non. Un groupe débutant s'en contenterait largement, cela constituerait une base de travail perfectible avec le temps mais déjà de bon niveau ; mais pour un groupe avec autant de bouteille, c'est très nettement insuffisant. Je m'explique.
La patte Mustaine, celle qui fait tout le sel de l'entité Megadeth, est visiblement restée à la porte du studio. Les riffs vicieux ? Aux abonnés absents. Les paroles mordantes ? Un petit délire sécuritaire inoffensif sur "Endgame" et point barre. On a souvent pointé du doigt la faiblesse du chant de Mustaine, mais au moins il essayait ; là, il se contente de marmonner dans sa barbe, généralement sans le moindre début de commencement de ligne vocale. Du coup, on peut toujours chercher la trace d'un bon refrain, de la trempe de ceux qui restent en tête toute la journée… Quant aux structures des morceaux, c'est une véritable blague. L'accent est mis sur les soli, mais on les retrouve souvent parqués en fin de morceaux, sans aucun effort d'intégration avec le reste ("1320", "Headcrusher", "Bite the Hand"…). Sauf qu'un collage réussi comme "Wake Up Dead" en son temps, cela reste une exception…
Niveau compos, il y a de quoi ressentir pas mal de frustration. On retrouve plusieurs morceaux avec de bonnes idées, mais qui sonnent inaboutis au final. Par exemple, "Bodies", une sorte de "Angry Again" bis, qui a le mérite de présenter une belle section musicale… mais qui s'arrête net dessus ; "Endgame", qui contient quelques bons riffs (notamment la reprise du couplet après le refrain), mais plombée par une intro poussive et un refrain tout simplement mauvais ; ou encore la ballade "The Hardest Part of Letting Go… Sealed With a Kiss", qui voit sa bonne accélération centrale trop vite abandonnée pour revenir sur la partie lente et inintéressante du début. Bref, tant d'approximations au bout du douzième album, ça la fout un peu mal. Pour le reste, on navigue du furieux mais complètement déstructuré ("1320", "Headcrusher") au totalement insipide ("Bite the Hand", "The Right to Go Insane").
Ce qui finit par rapidement ressortir d'Endgame, c'est qu'il s'agit d'un album bâclé. Mustaine a dû se dire que jeter en pâture quelques rythmiques acérées, une poignée de riffs simili-thrash et la blinde de soli sur chaque morceau suffirait à satisfaire les fans, mais qui peut décemment se contenter d'un album avec un seul morceau vraiment imparable, l'énergique "How the Story Ends", qui n'aurait pas fait tâche sur Countdown To Extinction ? Évidemment, c'est toujours mieux qu'United Abominations, mais comment peut-on parler de meilleur album depuis Rust In Peace alors qu'Endgame atteint péniblement le niveau de The World Needs A Hero ? Dommage, car on sent qu'avec un peu plus d'application et de boulot sur les compos, Mustaine aurait pu tirer un parti largement meilleur que cet album moyen qui n'exploite qu'une partie minime de son potentiel de départ. On n'a pas fini d'en causer dans les chaumières…