Pour son premier album, Uriah Heep est en pleine gestation et n'a pas encore défini quel sera son propre style. Ken Hensley venait de rejoindre le groupe et n'est crédité sur aucun morceau. Mais il essayera très vite de s'imposer comme le leader, on peut déjà s'en rendre compte à l'intérieur de la pochette puisque c'est lui qui a rédigé le texte de présentation d'Uriah Heep, chose qu'il fera régulièrement jusqu'à Demons & Wizards.
Very 'Eavy Very 'Umble est sorti sous deux versions différentes, une aux États-Unis et l’autre en Angleterre, avec deux pochettes aussi hideuses l'une que l'autre. Le line up n'est pas encore stabilisé non plus puisqu'il y a deux batteurs sur l'album : Alex Napier sur tous les morceaux sauf "Dreammare" et "Lucy Blues" où là, c'est la nouvelle recrue, Ollie Olsson, qui joue. Ken Hensley est devenu lui aussi membre à part entière d'Uriah Heep que récemment puisqu'il ne joue pas sur "Come Away Melinda" et "Wake Up (Set Your Sights)" ; c'est Colin Wood qui assure les claviers sur ces deux titres. Difficile à suivre tout ça ! Une chose est sure : David Byron s'impose déjà comme un vocaliste d'exception. S'il ne maîtrisait pas encore très bien les aigus (il n'en fait d'ailleurs pas beaucoup sur l'album), il se montre particulièrement brillant dans un registre théâtral ou très doux (sur "Come Away Melinda"). Bon nombre de groupes estampillés « rock progressif » ne pouvaient pas se vanter d'avoir un tel vocaliste en leur rang.
Quand Very 'Eavy Very 'Umble est sorti, les critiques ne se sont pas faites attendre, l'album a été considéré comme une bonne blague, avec notamment le célèbre «If this band makes it, I'll commit suicide» de Rolling Stone. Cet acharnement n'aidera pas Uriah Heep à être respecté aussi aisément que d'autres groupes de l'époque, bénéficiant d'une meilleure presse. In Rock était en plus sorti en 1969 et les comparaisons avec Deep Purple allaient bon train, sans parler de la fameuse anecdote évoquant la présence des deux groupes dans les mêmes studios au moment de l'enregistrement de leurs albums respectifs. Si influence il y a du côté d'Uriah Heep, il faut bien garder une chose en tête : Very 'Eavy Very 'Umble est mélodique en permanence, Uriah Heep n'est du tout dans le trip bruitiste d'In Rock. En plus, on retrouve davantage de morceaux « Purpleliens » sur Salisbury et Look At Yourself.
Cinq compos sont signées Box/Byron, dont les classiques "Gypsy" et "I'll Keep On Trying", à la fois théâtral, très heavy et ponctués de passages « progressifs » : un nouveau style est en train de naître et on se régale ! Cette version de "Gypsy" reste indépassable à mon sens, elle possède une atmosphère oppressante, un charme d'époque que les versions live, privilégiant l'énergie brute, n'ont jamais réussi à retranscrire. Avec la magnifique reprise de Harry Belafonte, "Come Away Melinda", on tient là les meilleurs titres, les plus populaires. "Come Away Melinda" avait aussi été reprise par UFO à leurs débuts, mais la version d'Uriah Heep est meilleure, plus calme et plus adaptée à l'esprit de cette « berceuse ».
En dehors de ça, il faut bien avouer que Very 'Eavy Very 'Umble n'a rien d'exceptionnel pour l'époque, presque anecdotique sur le bluesy amusant "Lucy Blues", sans grand intérêt toutefois, et également sur "Dreammare" et "Real Turned On", vite oubliés et pas d'une originalité fulgurante non plus (Vanilla Fudge était déjà passé par là). Reste un très bon "Walking In Your Shadow", regroupant les mêmes qualités que "Gypsy" et "I'll Keep On Trying", avec une structure plus simple. Et que dire de "Wake Up (Set Your Sights)", un ovni (dans la carrière du Heep s'entend) sur lequel on ressent clairement l'influence de King Crimson (In The Court Of The Crimson King était sorti l'année précédente), avec une très belle mélodie, des rythmes jazzy et des guitares planantes... « frippiennes » si j'ose dire. Pas un chef-d’œuvre ultime mais un morceau très attachant, presque touchant par sa naïveté... tout comme Very 'Eavy Very 'Umble dans son ensemble finalement.