Different World est le deuxième album enregistré avec le line up actuel, le plus long qu'ait connu Uriah Heep. Un line up en tout cas bien meilleur que le précédent (qui donne lieu aux albums tant décriés Abominog, Head First et Equator) et qui va permettre à Uriah Heep de revenir vers ce qu'ils savent faire le mieux, tout en s'éloignant sensiblement du son FM. Different World a été plutôt mal accueilli à sa sortie, enfin c'est devenu une habitude...
La production assurée par le bassiste Trevor Bolder place en effet la guitare en retrait et elle s'inscrit, encore une fois, dans une logique FM. Et les chansons en elles-mêmes sont très catchy, composées de mélodies faciles ce qui va provoquer un rejet de ce disque, de la même façon que Fallen Angel à son époque. Pourtant, Uriah Heep a toujours été très fort dans la simplicité, mais en tant qu'éternel précurseur du mélange metal + prog, ça a un peu de mal à passer. Reste que le groupe est en pleine forme et assume sa condition de vieux de la veille avec sagesse, sans chercher à paraître plus jeune qu'il ne l'est. Le timbre éraillé de Bernie Shaw est le seul élément de jeunesse d'Uriah Heep.
Pour le reste, c'est old-school à 100% avec l'abandon des synthés au profit du bon vieil Hammond (enfin !) et des choeurs ne tirant plus dans les aiguës comme autrefois. Normal, ces choeurs sont tenus par des "papys" donc ça sonne davantage comme ceux des vieux groupes de progressif. Comme d'hab', c'est toujours autant un casse-tête pour classer cette musique : le premier titre, "Blood On Stone", est clairement heavy et direct. Ce n'est pas le meilleur morceau de l'album pour moi, mais c'est en général le préféré de ceux qui n'aiment pas ce disque. Les autres morceaux n'ont rien à voir, ils sont beaucoup plus catchy, et franchement, tant mieux !
"Step By Step" et "Which Way Will The Wind Blow" (avec des riffs rock très proches de ceux de Joe Perry pour ce dernier) manifestent un plaisir évident pour le groupe à jouer du bon vieux rock, un plaisir qui ne semble jamais disparaître au fil des années. La bonne humeur est de mise, ce qui a toujours été le cas finalement sur les albums d'Uriah Heep. Le contexte a changé, le son et les musiciens aussi mais le fond reste le même. Le seul reproche que l'on peut faire à Different World est qu'Uriah Heep a tendance à appliquer la même recette sur les chansons. Ainsi, "Which Way Will The Wind Blow" et "All God's Children" ont exactement le même tempo, et qui plus est, ces deux titres s'enchaînent.
"Which Way Will The Wind Blow" repose surtout sur un groove à la Jeff Porcaro, effectué par un Lee Kerslake qui n'avait sans doute jamais bénéficié d'un son aussi énorme. Après avoir été spoliée dans les années 80, la batterie reprend enfin sa place et le son qu'elle mérite. "All God's Children" contient également ce groove mais le morceau en lui-même est beaucoup plus beau, moins "party". Les claviers de Phil Lanzon et le refrain repris à la fin par une chorale de marmots valent à eux seuls le détour. On retrouve le mélange néo prog et hard FM toujours aussi naturel et optimal. Si tous les combos FM avaient pu posséder cette richesse mélodique sans être mièvre, nul doute que les années 80 ne seraient pas autant regardées d'un mauvais oeil.
"Seven Days", "First Touch" et "One On One" sont de bons morceaux mais ils sont aussi construits de la même façon, et étrangement, Uriah Heep a choisi de les enchaîner. Il aurait mieux fallu les éparpiller à travers l'album, l'auditeur n'y aurait vu que du feu. Parce que là, et surtout les jolies parties de piano qui précèdent les refrains, elles sont très similaires dans ces trois titres, c'est dommage. Enfin, mieux vaut rabâcher une recette qui fonctionne à merveille plutôt que l'opposé.
Les meilleurs titres sont les plus calmes, la guitare de Mick Box trouve toujours le bon solo à plaquer, quelques notes suffisent et c'est parfait. A la même époque, Ritchie Blackmore galopait derrière son manche pour des solos techniques et surtout pourris, pas inspirés pour un sou. "Different World" et "Cross That Line" sont à ranger parmi les meilleures ballades d'Uriah Heep. La montée en puissance de "Cross That Line" jusqu'au refrain est assez hallucinante et les parties de batterie également. Lee Kerslake n'a sûrement jamais aussi bien joué, son jeu possède une sacrée patate tout en étant groovy et il enchaîne les descentes de toms au moment où on s'y attendait le moins.
Malgré des qualités évidentes, Different World sera un flop commercial à cause du pauvre label Carrere, incapable d'assurer la promo du disque et réservant à l'album un artwork très pauvre (l'intérieur du livret contient deux pages blanches avec rien dedans, seulement la pochette autour). Uriah Heep est néanmoins sur la bonne voix pour la reconquête de son public et à ce rythme-là, le prochain album risque d'être magistral.