Cette fois-ci, c'est la bonne ! Avec l'arrivée de Gary Thain et Lee Kerslake, le line-up légendaire prend forme et il durera quelques années, jusqu'à Wonderworld. Demons And Wizards est à Uriah Heep ce que Machine Head est à Deep Purple : un album rempli de classiques, proche de la perfection. Plus homogène que Salisbury (lequel voyait un léger déséquilibre entre la longue pièce épique et les morceaux courts) et Look At Yourself (avec quelques titres moins inspirés), la musique du Heep prend de l'ampleur sur Demons And Wizards, avec plus de choeurs, de guitares acoustiques, d'arrangements diverses et forcément, on perd en échange la dynamique hard rock (qui a dit "Purplelienne" ?) de Look At Yourself.
D'ailleurs, les titres les plus électriques ont été écrits en majorité par Mick Box et Lee Kerslake, que ce soit "Traveller In Time", "Poet's Justice" et "All My Life". Les autres, plus progressifs, ont été composés en grande partie par Ken Hensley. Attention toutefois à ne pas se tromper sur l'étiquette "rock progressif", parfois employée (à tort) dans le cas d'Uriah Heep : elle ne concerne seulement une minorité de morceaux. Alors que les fans de prog se battent entre eux pour savoir si Uriah Heep est prog ou pas prog, tuons le suspens de suite : ils ne l'ont jamais été ! Il serait plus juste de dire qu'ils mélangent à leur sauce heavy metal, pop, rock, progressif et d'autres couleurs musicales, sans vouloir être enfermé dans une chapelle musicale précise.
A ce titre, Demons And Wizards pourra paraitre "banal", "facile", "sans intérêt", au mieux "sympa" pour les amateurs de musiques expérimentales, sombres, complexes, torturées, j'en passe et des meilleurs ! Uriah Heep n'a jamais boxé dans cette catégorie (il y avait déjà King Crimson pur cela), pas plus qu'ils n'ont eu la prétention de détenir le titre du groupe le plus original et inventif de son époque. Ce qui leur importait était avant tout d'écrire des chansons simples, avec de bonnes mélodies, ce qui était criminel à cette époque où la presse bien pensante ne s'intéressait qu'à tout ce qui était aventureux. Pas pour rien que le rock progressif avait si bonne presse en France, Led Zeppelin était porté aux nues et Deep Purple considéré comme un groupe bruyant et stupide. Si les comparaisons entre Uriah Heep et Deep Purple sont de mise, on attend toujours les comparaisons entre Uriah Heep et l'influence évidente qu'ils ont exercé sur les premiers albums de Queen.
Demons And Wizards est mélodique en permanence, ponctué de choeurs... David Byron n'est pas le seul chanteur du groupe, Ken Hensley et Lee Kerslake sont aussi très doués pour ça. Uriah Heep était le seul groupe à l'époque à pouvoir jouer une musique à la fois heavy et mélodique : sur l'hymne définitif "Easy Livin'" où tout est dit, que l'on peut voir comme une relecture nettement améliorée de "Love Machine", 2 minutes 31 au compteur. Sur "Traveller In Time" et "Poet's Justice" également. Et puisqu'on parle de heavy, mis à part Black Sabbath, quel groupe pouvait pondre un titre aussi sombre que "Rainbow Demon" ? En adéquation avec la pochette de Roger Dean, l'ambiance de "Rainbow Demon", les claviers incisifs de Ken Hensley et la voix grave magistrale de David Byron inspireront une bonne partie de black métalleux, tendance "symphonique", "viking", enfin dans ce folklore là (Vintersorg en fera même une reprise).
Au rayon progressif figure "Circle Of Hands", un brin pompeuse et ennuyeuse, malgré la belle performance de David Byron... pas ma chanson préférée du Heep en tout cas. Quant à l'enchainement "Paradise/The Spell", sa construction spéciale peut dérouter (un copier-coller entre une ballade et un tempo plus enlevé, avec du piano "à la Elton John" comme on dit), mais force est de constater qu'il s'agit d'un des plus beaux morceaux du répertoire du Heep, avec plus de 12 minutes au compteur. La ballade est magnifique : des guitares acoustiques, un solo planant, des envolées lyriques... "Paradise/The Spell" est certes moins original que "Salisbury", mais davantage portée sur l'émotion, plus accessible et touchante en quelque sorte.
Forcément, "All My Life" qui lui précède fait pâle figure, un rock assez banal, le titre faible du disque, à peine sauvé par quelques choeurs et hurlements aigues à la fin. Alors, Demons And Wizards, meilleur album du Heep ? Le plus homogène en tout cas, le classique des classiques, c'est bien lui !