Sonic Origami 1998 – Wake The Sleeper 2008, dix longues années se sont écoulées entre ces deux albums, Uriah Heep était devenu un tribute-band à lui tout seul, reprenant (avec talent) en long, en large et en travers tout le répertoire des années Byron. Tellement d'albums live (souvent de qualité) sont sortis durant cette période, pour faire patienter les fans et aussi pour annoncer un probable retour aux sources puisqu'en se focalisant autant sur la nostalgie des années Byron, on pouvait se douter qu'un prochain album « à l'ancienne » allait voir le jour. Chouette alors !
Maintes fois annoncé, Wake The Sleeper ne sort qu'en 2008, la faute aux éternels problèmes de label. Uriah Heep, aujourd'hui encore, n'est toujours pas foutu de se trouver une bonne distribution puisque Wake The Sleeper se trouve difficilement chez les disquaires en France (à part chez Gibert en import... super !). Merci Universal ! Enfin, cette sortie tardive n'est pas seulement due au label évidemment, il ne faut pas oublier non plus l'épisode Lee Kerslake, devenu tellement gros à cause de l'alcool qu'il ne peut désormais plus assurer une tournée. C'est donc le batteur Russell Gilbrook (Tony Iommi, Van Morrison) qui le remplace... c'est le premier changement de line-up qui intervient dans le groupe depuis 20 ans. Le petit dernier assure, pas de souci, il a une technique impeccable, une frappe du tonnerre et case même de la double pédale sur l'intro instrumentale "Wake the Sleeper" (du jamais vu chez Uriah Heep !). Ça cogne dur ! Mais Lee Kerslake avait un jeu nettement plus classe et stylé qui restera à jamais une des marques de fabrique du Heep ; force est de constater qu'elle ne se remplace pas comme ça.
Sinon, Wake The Sleeper, même topo que pour le Blood On The Highway de Ken Hensley, l'ensemble des critiques du web français s'est empressé de crier au chef-d'œuvre, à la résurrection, au retour aux sources. L'effet nouveauté ? Visiblement, les fans de « classic-rock » ne sont vraiment pas difficiles puisque, peu importe la qualité des compositions, il suffit de leur servir sur un plateau un album avec une production « old-school » (par Mike Paxman qui a travaillé avec Status Quo récemment) suivi du traditionnel orgue Hammond et des bons vieux solos bourrés de wah-wah de Mick Box pour les satisfaire. Oui, Wake The Sleeper est typiquement un album de fonctionnaires, sans surprises, Uriah Heep donne l'impression d'essayer de jouer comme au bon vieux temps, sans en avoir tout à fait les moyens, avec pas mal de clins d'œil au passé. La recette est là mais la magie non. Le problème est là : faire du Heep à la sauce 70's, avec le son, le feeling et tout, c'est bien. Mais il manque quelqu'un pour les compos... oui, vous l'aurez compris, il manque Ken Hensley !
Et pourtant, pour la petite histoire, Ken Hensley avait proposé au groupe de leur « offrir » quelques compos pour ce nouveau disque. Mais Mick Box, trop content de pouvoir enfin s'exprimer comme il l'entend après la dictature Ken Hensley-Gerry Bron des années 70, ne l'entendait pas de cette oreille. Le line-up actuel a assez d'idées pour écrire un album complet, il peut se débrouiller tout seul, sans l'aide de compositeurs extérieurs, qu'on se le dise. Du coup, Ken Hensley, vexé par ce refus, dit à nouveau du mal d'Uriah Heep dans ses interviews : « C'est un tribute-band, sans David Byron ce groupe n'existe pas, je regrette ma participation au concert The Magician's Birthday Party, etc etc... ».
Où est passée la grandeur d'Uriah Heep ? Ce mélange harmonieux de rock progressif, heavy metal, hard rock, pop et j'en passe. Disparu à tout jamais au profit de compos estampillées « classic-rock » plutôt banales, passe-partout, sans grande envergure et calibrées pour plaire aux nostalgiques. C'est certain, ce n'est pas avec un tel disque qu'Uriah Heep va gagner des nouveaux fans. Si Mick Box est en pleine forme, avec des solos dans tous les sens et des guitares en furie, Phil Lanzon se contente du minimum syndical niveau claviers, on l'a connu bien plus inspiré (Sea Of Light toujours). Bien sur, ici l'ami Phil n'utilise plus de son de synthés « FM » donc ça fera grandement plaisir aux nostalgiques. Mais cela rend-il les compos meilleures ? Certainement pas. Même chose pour Bernie Shaw, sa prestation ici n'a rien d'exceptionnelle, c'est comme s'il cherchait à ne pas faire d'ombre à la légende David Byron et à se mettre volontairement en retrait.
Alors que Sea Of Light et Sonic Origami donnaient l'image d'un groupe soucieux d'aller de l'avant, sans chercher à singer à tout prix les années Hensley, avec Wake The Sleeper la régression artistique est totale, la créativité aux abonnés absents et pour la première fois de sa carrière le groupe fait du surplace, on ne compte même plus tous les passages copiés-collés des albums antérieurs... tous les riffs ou toutes les mélodies recyclés de morceaux d'Uriah Heep déjà existants. Ça fait mal !
Il convient de procéder à un recensement des auto-citations les plus flagrantes du disque, chose qui n'a encore jamais été faite sur le web français :
- le pont suivi du solo d'"Overload" ressemble étrangement à la partie plus calme du pont de "Between Two Worlds", et tout s'enchaîne exactement de la même façon sur les deux titres.
- "Tears of the World" : mélange (raté) entre "Easy Livin'" et "Time of Revelation"... les mélodies du couplet ont un p'tit air de "Everything in Life".
- "Book of Lies" : même style de riff que "I Hear Voices".
- "Ghost of the Ocean" : "Everything in Life" bis, en nettement moins réussi. Ça se passe de commentaires.
- "War Child" : encore un riff similaire à "I Hear Voices" sur les couplets... décidément, que d'inspiration sur ce disque !
Quelques bons titres viennent sauver l'album avec tout d'abord l'instrumental "Wake the Sleeper", diablement dynamique même si caricaturale avec le coup des cloches, référence directe à Return To Fantasy et ces chœurs qui évoquent plus Crosby, Stills, Nash & Young qu'Uriah Heep (on peut soupçonner le groupe de s'être fait aider par quelques voix féminines...). Un "Overload" efficace, de bonnes mélodies pour "Shadow", "Heaven's Eyes" et "Light of a Thousand Stars"... mais où sont passés les ballades et les titres acoustiques ? Disparus, envolés. S'ensuit un enchaînement de morceaux moyens, sans grand intérêt pour les raisons cités plus haut ("Tears of the World", "Book of Lies") voire quelconques (le bluesy "Angels Walk With You", une compo de Trevor Bolder qui sent le sapin, "Ghost of the Ocean", "War Child"). Cela commence à faire beaucoup. Que vaudrait Wake The Sleeper s'il ne contenait pas "What Kind of God" en son sein ? Pas grand chose. Et cette compo épique, la seule réellement ambitieuse de tout l'album, n'est pas sans rappeler les meilleurs titres de Sweet Freedom ("Pilgrim" et "Sweet Freedom", pour ne pas les nommer).
Si Sonic Origami était gavé de ballades, Wake The Sleeper lui adopte la démarche inverse avec du « classic-rock » à gogo, pêchu, sans originalité et pas toujours très inspiré. Uriah Heep n'a jamais réussi à retrouver l'équilibre optimal présent sur Sea Of Light, à savoir des titres bien heavy, des ballades acoustiques, des titres plus ambitieux (j'ose à peine dire « prog »)... bref, Sea Of Light restera, et de loin, le meilleur album du groupe avec Bernie Shaw, c'est pas demain la veille qu'il sera détrôné. Tout comme Deep Purple n'a jamais réussi à retrouver la créativité de Purpendicular. Dix ans pour ça ? Hé bé...