Avec Show No Mercy, Slayer avait signé d'excellents débuts sans toutefois définir sa propre identité, hésitant entre heavy d'obédience priestienne et thrash naissant. Ce n'est que sur l'EP 4 titres Haunting the Chapel, sorti l'année suivante, que le groupe a définitivement choisi sa voie : ce sera un thrash aussi rugueux que ravageur, dans le sillage de "Aggressive Perfector" et surtout de l'énorme "Chemical Warfare". Après ce sympathique amuse-gueule, il est temps de passer aux choses sérieuses avec Hell Awaits.
Hell Awaits, c'est avant tout l'intro mythique du morceau titre. Cet entrelacement de voix plaintives et menaçantes venues d'ailleurs, proférant un message incompréhensible («Join Us» à l'envers), ce riff ultra heavy qui déboule derrière, le petit passage à la guitare qui sonne la fin de la récréation : pas de doute, ces 3 premières minutes sont à ranger parmi les plus mémorables de la carrière de Slayer. Surtout que la suite du morceau n'est pas dégueu non plus : du pur thrash bien primaire, sec et nerveux, avec ces voix trafiquées sur le refrain du plus bel effet. On notera également l'apparition des soli nawakesques de la paire King / Hanneman, qui n'avait pas encore mis sa formule au point sur son premier essai. Une trouvaille élevée par la suite au rang de véritable gimmick propre au groupe, et qui a énormément contribué à la grande renommée de Slayer. Une sorte de patte immédiatement reconnaissable, qui a renforcé l'image déjà très menaçante du groupe.
A la sortie de Reign In Blood, les membres de Slayer avaient justifié la brièveté des compos par l'ennui de jouer inlassablement le même riff sur toute une chanson. Ce n'est pas le cas sur Hell Awaits, puisque les morceaux sont majoritairement assez longs. Même des titres thrash à la structure relativement classique (comprendre : ne croulant pas sous des tonnes de breaks) affichent une certaine durée au compteur, comme "Kill Again" qui flirte avec les 5 minutes. Bref, on est loin des 1:40 de "Necrophobic" ! Certains dépassent même la barre des 6 minutes, pour des fortunes diverses. On a déjà parlé de "Hell Awaits", dont la durée est due avant tout à sa longue intro. Hallucinant de maîtrise, "At Dawn They Sleep" est un modèle du genre, notamment à sa longue montée en puissance et son accélération fulgurante ponctuée par des «Kill !» terrifiants de sauvagerie. Ce n'est en revanche pas le cas du bordélique "Crypts of Eternity", qui vient quelque peu refroidir les ardeurs provoquées par un début en béton.
En effet, le gros point noir de Hell Awaits, c'est sa fin en eau de boudin. Conformément à ce qui se faisait à l'époque, l'album ne comprend qu'un nombre assez limité de morceaux, 7 en l'occurrence. Or, les 2 derniers sont de véritables ratés, dans 2 styles très différents. "Crypts of Eternity" est un morceau à tiroir technique mais sans queue ni tête, ceux dont on attend la fin avec impatience. "Hardening of the Arteries" se situe dans un registre beaucoup plus direct, mais le résultat est sensiblement le même. D'où une certaine sensation de gâchis, comparé au début de l'album qui nous offre 2 classiques ("Hell Awaits" et "At Dawn They Sleep") et quelques roquettes dévastatrices comme l'imparable "Necrophiliac", un des trésors cachés de la disco de Slayer. Du coup, au lieu de tenir dans les mains encore un autre classique du thrash estampillé Slayer, on se retrouve avec un album inconstant où le très bon est plombé par le très mauvais, à l'instar du Endless Pain de Kreator sorti la même année.
Hell Awaits est à ranger parmi les albums dits de transition, comme le veut l'expression consacrée. Un album sur lequel Slayer a dessiné les contours de sa propre personnalité et qui lui a permis de franchir un palier supplémentaire, sans pour autant réussir à livrer l'œuvre ultime en raison d'imperfections trop handicapantes (dans la composition comme dans la production). La Légende est en marche, ne manquait plus alors que la rencontre décisive avec Rick Rubin pour mettre le monde à genoux...