Un changement de label par-ci, un changement de style par-là, les Hollandais de The Gathering ne sont plus à une exploration près. Souvenirs ne déroge pas à la règle qui les caractérise si bien depuis How To Measure A Planet? et qui montre qu'ils savent plus que jamais mettre leurs idées en forme, devancer leur époque sans qu'aucune marque de commercialisme ne vienne gâcher le résultat final. Century Media voulant les emmener contre leur gré vers une nouvelle direction, le groupe n'a pas attendu longtemps, avant de quitter ce label et se décider à fonder leur propre label indépendant, Psychonaut Records. Et bien leur en a pris! C'est cette farouche volonté d'indépendance musicale qui les a fait accoucher d'un Souvenirs plus que bienfaisant.
En effet, on savait le groupe enclin aux plus belles expérimentations (How To Measure A Planet? et If_Then_Else en sont les témoins privilégiés), Souvenirs enfonce le clou profondément. Fini, le metal des débuts finalement assez approximatif par rapport au "trip-rock" (même si je n'aime pas ce terme) des nouveaux jours. Place à un rock cérébral, volatile et sensitif, propice à la plume d'un groupe, qui décidément fait preuve d'un sens artistique hors du commun. Avec Souvenirs, The Gathering crée carrément un genre à lui tout seul. Genre hybride, mêlant des sonorités électroniques, des rythmes groovy (la batterie de Rutten dans "Even The Spirits Are Afraid" et "Souvenirs", fantastique), des guitares, plus discrètes maintenant certes, qui savent néanmoins conserver un sens de la mesure et du rythme effarant (le final de "Broken Glass", "These Good People", "Souvenirs"), des claviers omniprésents mais jamais surfaits et surtout, un chant majestueux, onirique, qui ravit les oreilles autant que les autres sens. Anneke joue ici sa plus belle partition depuis ses débuts avec Mandylion. Sa voix n'a jamais été aussi prenante, enivrante et fragile ("You Learn About It", une ballade mélancolique superbe).
Avec Souvenirs, le groupe confine au progressif d'une bien belle manière. Ce disque est témoin d'une évolution au départ risquée, aujourd'hui payante: passer du metal à la musique qu'ils jouent aujourd'hui représentait une entreprise casse-gueule, mais, comme quoi, l'inventivité est toujours récompensée. The Gathering est un groupe progressif au sens noble du terme. Souvenirs est aux antipodes de Mandylion. Souvenirs est bien plus maîtrisé, original - le groupe ose inviter une nouvelle voix masculine sur"A Life All Mine" - et techniquement irréprochable. Chaque instrument a sa place au sein du groupe, aussi petite soit-elle. La moindre sonorité a son importance (les claviers sur "We Just Stopped Breathing", tout simplement... surprenants!) et on sent que chaque mélodie a été travaillée puis retravaillée. The Gathering possède aujourd'hui son art et c'est là la qualité première d'un grand groupe.
Maintenant, quels reproches pourrait-on faire à un groupe qui ne cède en aucun cas à la tentation de la facilité? Surtout si ce dernier album possède des perles musicales qui deviendront des standards ("These Good People", "Souvenirs", "Even The Spirits Are Afraid" et "Jelena"...) et si peu de déchets ("Golden Grounds", un peu trop classique)? Souvenirs est un nouveau classique dans la discographie d'un groupe qui en compte déjà pas mal. Leurs quatre derniers albums, en comptant Sleepy Buildings sont tous des réussites de haut niveau, tous fascinants, dotés d'un style à la fois éphémère, qui évolue très vite et à la fois rationnel, car il correspond parfaitement aux idées que le groupe avait de ces albums. A quoi peut-on s'attendre pour le prochain, alors? Personne ne peut le prédire, et tant mieux.