Il y a beaucoup à dire sur l'infini. Forcément. Mieux vaut donc éviter les traditionnelles palabres introductives pour s'attaquer d'emblée à la grosse bestiole qu'est The Living Infinite, par Soilwork, Suède. Voici donc un neuvième album qui déboule sous la forme risquée d'un double album. Coupons court à la critique : The Living Infinite est UN DOUBLE ALBUM. Autrement dit, un unique album sur deux CD. Dès lors, peu importe que, comme nous allons le voir, les différences entre chaque partie n'existent pas ou si peu. L'idée de l'infini est justement de surmonter le format fini du support matériel. Le format double est un exercice intéressant mais périlleux s'il en est, et plus encore lorsque plus grand monde ne donne cher de votre peau après de récents essais en demi-teinte. Soilwork s'en tire t-il avec la classe des grands ou se vautre t-il dans sa prétention ?
Bien sûr, on serait bien tenté de scinder la chronique en deux parties, une pour chaque CD. Mais un peu de sérieux : ce serait la pire erreur au monde ! Du moins, c'est ce que la fac de droit m'aura appris. Au contraire, mieux vaut traiter le sujet frontalement car c'est ici une impression d'unité qui règne tout au long des disques. Quel que soit l'angle d'approche, The Living Infinite tape clairement dans le melodeath à la Soilwork. Point barre. On y retrouve un jeu bien connu, vif et mélodique en diable, naviguant entre le mélodeath, le thrash et le -core moderne, ponctué de feeling et de refrains catchy. Reste à savoir si la formule prend car il est nettement plus difficile de bastonner sur deux CD que sur un seul sans perdre son troupeau d'auditeurs. Fort heureusement pour nous, les mecs ont soigné leur affaire et cela s'entend. Les compo fourmillent de détails et d'ingéniosité (les changements de personnel peuvent avoir du bon...) et les riffs, soli (nombreux et souvent emprunt de mélancolie) ou autres patterns de batteries sont tout bêtement excellents. Tenez, l'idée de d'envoyer du blast beat sur certains refrains en chant clair par exemple : excellente ! L'idée de varier les ambiances (comparez les dernières pistes de chaque disque, vous verrez : du jazzy de "Whispers..." au death Gojiresque de "Owls...") ou celle de marier mélodie sucrée et mélancolie appuyée ("Antidote In Passing") : excellentes également. Tout est pensé et rien n'est laissé au hasard. La production est cristalline, très moderne (donc lisse, il faut bien l'avouer) et met en valeur le jeu des musiciens. Les gratteux assurent et jouent technique en permanence tout en restant accessible. Le batteur Dirk Verbeuren est quant à lui absolument déchaîné tout au long de ces 80 minutes et place ses frappes absolument partout avec une aisance déconcertante. Et toujours, partout, ce groove démentiel qui saupoudre l'album et fait la différence entre Soilwork et ses compagnons, par exemple via le riff de "Parasites Blues", vecteur d'une pèche monumentale et invitation au déhanchement ou encore via le final de "Vesta", entre autres. Oubliées les errances du passé, oubliés les fillers qui remplissent parfois de tels exercices, oubliée la crainte de se planter : Soilwork s'impose avec ce qui deviendra peut-être son meilleur opus. En tous les cas, avec son album le plus ambitieux à ce jour (nul besoin de réinventer sa formule pour cela).
Si les deux CD sont relativement similaires en présentation (10 morceaux chacun) et en qualité (des tueries partout !), quelques différences se retrouvent effectivement entre les pistes elles-mêmes. On pourrait en distinguer plusieurs catégories. D'un coté, il y a celles qui jouent clairement sur l'aspect mélodique du groupe, mis en avant dans des refrains ultra-efficaces et représentant la majeure partie de l'album. A titre d'exemple, "This Momentary Bliss" s'ancre dans le cerveau pour n'en plus sortir, à l'instar des autres refrains, tous très réussis et tous identifiables et distincts ("Tongue" et "Parasite Blues" voient un Speed magistral monter dans les aigus, "Spectrum of Eternity" est rehaussé à coup de blast beat imparables, "Realms of The Wasted" tout en modulation...). Le chant sur The Living Infinite s'avère être l'une des meilleures prestations vocales récentes, quel que soit le référentiel choisi (discographie de Soilwork, mélodeath en général, musique metalisée...) et ceci malgré une voix si peu death au final, comme en témoigne par exemple "The Windswept Mercy", vocalement calibré pour plaire. D'un autre coté, après les pistes catchy se cachent celles qui taillent dans le lard façon thrash, chose que les déçus des derniers In Flames ne manqueront pas d'apprécier. Le titre d'ouverture mais aussi "Let The Firt Wave Rise", "Long Live The Misanthrope" et surtout "Leech" sont autant de coups de poing dans les gencives. Il parait qu'il y aurait du Preadator's Portait dans tout cela... Et pourtant, tout cette violence passe comme du miel, sublimée qu'elle est par la technique des différents musiciens, tous au top de leur forme. Enfin, en marge des pistes plutôt mélodiques ou plutôt violentes (attention, les deux catégories s'entrecroisent sans cesse !) se remarquent des pistes moins communes et presque... progressives. Les deux morceaux éponymes (dont le second est monumental sur tous les plans), les deux morceaux instrumentaux (dont le premier est dispensable), "The Windswept Mercy" ou "Whispers And Lights" piochent clairement dans des registres fort éloignés du death. Notamment "Whispers..." où se découvre un Soilwork version crooner / jazzy très convaincant avant l'incursion jouissive du duo blast / tremolo. Miam ! Le meilleur dans tout cela ? La sauce prend à chaque fois, quel que soit le registre abordé, du plus calibré-FM au plus virulent et qu'en conséquence, l'ennui ne pointe jamais le bout de son nez et que ces 80 minutes semblent en durer 30.
L'idée d'un double album de melodeath était osée tant le genre ne semble pas se prêter aux trop longs formats. Contre toute attente, The Living Infinite apporte pourtant de la variété dans un genre enclin à la répétition. De la technique alliée à des mélodies. De la violence et du miel. Voilà un aperçu de tout ce que propose The Living Infinite. Pas étonnant que chez votre serviteur cette oeuvre, dépourvue de points faibles, soit la première claque de 2013. Il était plus que temps de réveiller l'année et Soilwork le fait en beauté, avec une maîtrise hors du commun qui renvoie nombre de formations réviser leurs gammes et qui place une énorme pression sur les concurrents directs (Construct de Dark Tranquility va devoir assurer pour tenir le niveau). Pour clore simplement, The Living Infinite est peut-être bien le meilleur album de Soilwork, peut-être bien l'un des meilleurs albums de melodeath depuis les années 2000 et assurément un nom que l'on retrouvera dans les top de fin d'année. Dans le mien, en tout cas, la place est réservée.