- Bonjour monsieur Portnoy, le docteur va vous recevoir dans 10 min. Vous pouvez profiter de ce temps pour lire nos brochures. Mais je vous en prie, arrêtez de jouer de la batterie sur la table en verre de la salle d’attente, c’est très fragile.
On peut dire que ça commence bien cette visite. Mais comment ai-je pu me faire embarquer dans cette histoire. « Vaincre sa peur avec le docteur Dominici ». Tout un programme ! Selon James, ce psychothérapeute pourrait m’aider à résoudre mes problèmes personnels. Comme si j’avais des problèmes. Mais puisqu’il a convaincu ma femme que cela serait bénéfique pour tout le monde, je ne peux plus reculer. Bon le voilà qui arrive, il ressemble à Devin Townsend. Tout cela ne me dit rien qui vaille.
- Bonjour monsieur Portnoy, je suis le docteur Dominici et nous allons voyager ensemble dans votre esprit pour tenter de l’apaiser. Mais avant toute chose, je dois vous connaitre un peu plus. Que faites-vous dans la vie ?
- Je suis musicien. Je joue de la batterie.
- Dans un groupe ?
- Pas vraiment, disons que d’autres musiciens jouent autour de moi pour combler les espaces entre deux roulements de cymbales.
- Très bien. Savez-vous pourquoi vous êtes ici ?
- Non.
- Et bien, c’est ce que nous allons voir. Fermez les yeux et commencez à vous détendre. Inspirez profondément et expirez doucement. Concentrez-vous sur votre respiration. Avec chaque inspiration, vous vous détendez. Imaginez une lumière blanche éclatante au dessus de vous. Focalisez votre attention sur elle jusqu’à ce qu’elle pénètre votre corps. Laissez-la vous emporter dans un état d’esprit de plus en plus serein. Maintenant, lorsque je compterai de 10 à 1, vous vous sentirez plus serein et plus calme. 10, 9, 8, 7, 6… Vous entrez dans un lieu où vous ne courez aucun danger… 5, 4, 3, 2 ,1...
Nous sommes désormais perdus dans l’immensité de votre esprit. Décrivez-moi ce que vous voyez.
- Je suis dans un studio…un studio d’enregistrement. Je discute de l’orientation de Systematic Chaos, le nouvel album, avec le reste du groupe à savoir John Petrucci.
- Vous n’êtes que deux dans le groupe ?
- Oui… enfin attendez un instant. Je distingue d’autres personnes. Oui, il y a ce claviériste rigolo. Jordan Rudess. Un mec très sympa qui fait toujours ce qu’on lui demande. Et quand on ne lui demande rien, il fait des soli de clavier tout seul comme un grand. Pas de surprise puisqu’il joue toujours la même chose. C’est très pratique pour John et moi. Et il y a aussi un chanteur je crois… oui… un certain James. Il ne sert pas beaucoup, mais la maison de disque ne voulait pas financer un album instrumental de batterie avec un peu de guitare.
- Vous vous entendez bien avec ces personnes ?
- Il me semble que oui. Enfin, avec Jordan ça se passe bien puisqu’il fait ce qu’on lui dit. Par contre, le chanteur propose des idées foireuses. Il veut une plus grande place pour le chant, plus de mélodies vocales etc… C’est n’importe quoi. Mais pour éviter qu’il s’énerve et se mette à jouer du tambourin, je lui laisse généralement un morceau car je suis bon prince. Cette fois-ci il a décidé d’écrire les textes et les mélodies du titre "Prophets Of War". Bien sûr, je ne lui laisse pas un champ trop libre et cette année son thème est de faire un truc à la Muse, histoire de varier un peu. Et puis limité en longueur. Pas plus de 6 min ! Il faut bien garder du temps pour les soli ailleurs.
- Pensez-vous qu’il est content de ce morceau ?
- Je ne sais pas… on dirait cependant que oui. Il semble heureux de le chanter en studio, l’ingénieur du son semble apprécier aussi. Ce dernier m’a même dit que le morceau était mélodique et pas trop long. Je ne comprends pas ce qu’il veut dire par là.
- Avez-vous fait le tour des personnes présentes dans le studio ? Ne manque-t-il personne ? Concentrez-vous !
- Je…ne vois rien d’autre. Enfin… il y a une ombre, je la distingue mal.
- Ne serait-ce pas le bassiste par hasard ?
- Je… je ne sais pas. Cette ombre, elle me fait peur.
- Restez calme, vous êtes en sécurité. Essayons de revenir en arrière dans votre subconscient. Fixez un traumatisme passé, nous allons tenter de trouver le mal qui vous ronge.
- Je… je vois quelque chose. Oui, je suis avec un homme, un certain Julian. Il m’appelle Victoria. Je ne comprends pas. J’ai l’impression d’être dans les années 20. Un certain Edward arrive, j’ai la sensation de bien le connaître. J’ai une étrange impression de déjà-vu.
- Houla, vous êtes allé un peu trop loin. Fixez un point plus récent de votre vie.
- Je suis dans une école, Berklee. Je prends une douche après une heure de sport, nous sommes plusieurs lorsque…je…
- Que se passe-t-il à ce moment ? n’oubliez pas, vous êtes en sécurité avec moi.
- Je…Cup Noodles arrive.
- Cup Noodles ?
- Oui, c’est le surnom que l’on donne à un certain John Myung. C’est un bassiste asiatique et il écoute Slayer. Autant de raisons d’en faire notre souffre douleur. Slayer ! Tout le monde écoute Metallica !
- Et que fait-il ?
- Il a pris un appareil photo avec lui et… il me prend en photo ! Nu ! C’est horrible.
- Calmez-vous et continuez.
- Ces photos de moi, il les distribue aux filles de l’école. Je les entends se moquer de moi. C’est terrifiant.
- Nous sommes sur la bonne voie, continuez.
- Tout le monde se moque de moi, je suis devenu la honte de l’école. Je dois compenser par quelque chose. Je vais m’acheter une énorme batterie.
- Que faites-vous ensuite ?
- J’élabore un plan. Je veux monter mon propre groupe et engager John Myung pour le sous-mixer. Ainsi, personne ne l’entendra jamais !
- Essayez de visualiser un point plus récent.
- Je suis dans les années 90, nous avons sortis plusieurs albums et le groupe à son petit succès mais personne ne fait attention à Cup Noddles. D’ailleurs, personne ne l’entend.
- Votre plan semble avoir fonctionné avec les années. Vous sentez-vous soulagé ?
- Non, je… j’ai changé mon kit plusieurs fois. Toujours plus gros. Mais rien n’y fait. Je suis toujours très mal. Je me suis mis à boire. Je dois trouver un moyen de me soulager. Je vais écrire des chansons sur ce thème.
- Revenons dans votre studio d’enregistrement pour le dernier album, une chanson sur ce thème est-elle prévue ?
- Oui, je l’ai appelée "Repentance". Je veux en faire quelque chose de spécial. Un long morceau qui jouerait sur l’ambiance et non sur la performance technique. J’ai prévu d’y inviter plein d’amis qui viendront participer au morceau. Je ne sais pas si les fans vont apprécier mais ce n’est pas mon problème. Je fais ce que je veux.
- Vraiment, vous ne demandez jamais l’avis des autres? Ils ne proposent jamais d’idées ?
- Je vois John Myung se plaindre. Il demande le retrait de "Forsaken" qu’il trouve trop commercial. Il veut mettre un morceau de death metal à la place. Mais je ne l’écoute pas. Je le déteste de toute façon !
- Voyez-vous d’autres événements récents marquants ?
- Nous sommes en Allemagne. Pour la tournée Chaos in Motion. Un fan s’adresse à moi dans les back stage. Il me parle de Systematic Chaos. Selon lui, les parties instrumentales seraient excellentes. Il dit que John Petrucci a retrouvé sa fougue d’antan, que les morceaux "In The Presence of Enemies" I et II sont excellents et qu’on y retrouve le Dream Theater de la grande époque.
- Continuez.
- Mais soudainement, son ton change. Selon lui, l’album serait beaucoup trop long. Les bonnes idées passeraient au second plan devant la longueur excessive des morceaux. Le groupe gagnerait à prendre du recul avec sa musique, qu’il ne faudrait pas hésiter à couper les passages en trop.
- Que faites-vous alors ?
- Dans un accès de rage, je lui crève les deux yeux avec ce que j’ai sous la main.
- Vos baguettes ?
- Non, une canette Heineken.
- Il est désormais temps de revenir parmi nous. Je vais compter jusqu'à dix. 1, 2, 3… 9, 10. Voilà vous êtes de retour monsieur Portnoy.
- Je… c’était une drôle d’expérience docteur. Je ne me rappelle de rien, c’était comme un rêve. Vous avez trouvé la source de mon problème ?
- Oui, c’est très simple. Chirurgie esthétique. Je vais vous donner l’adresse d’un très bon centre. Votre *petit* problème sera vite réglé et tout rentrera dans l’ordre !
- Merci docteur. Finalement, j’ai bien fait d’écouter James pour une fois. Je vais même l’écouter plus souvent. Il a peut-être des bons conseils pour le groupe aussi. Sait-on jamais !