Alors que l'on aurait pu s'attendre à un nouvel album dans la lignée de Whatever You Want, Status Quo surprend une fois de plus son monde avec un disque travaillé dans les moindres détails. Mais pas question de réitérer les erreurs de Rockin' All Over The World, Status Quo a acquis tout l'expérience nécessaire en matière de production et ce, sans perdre de vue la dynamique boogie qui le caractérise.
La classe avec laquelle le groupe a su se moderniser est épatante, en entrant progressivement dans les années 80 avec une élégance comparable à Blue Öyster Cult sur Fire Of Unknown Origin ou Led Zeppelin avec In Through The Out Door (quoique là, c'est plus discutable). Ces albums ne sont pas cités par hasard, les claviers modernes sont utilisés de façon originale à chaque fois, bien éloignés des clichés du rock. C'est valable également pour Status Quo, même s'ils sont moins placés en avant.
Just Supposin' révèle au grand jour les fortes individualités au sein du groupe, cela n'avait jamais été aussi évident. Bien sur, les fans avaient déjà pu se rendre compte depuis longtemps de la personnalité de chacun, mais ici on sent clairement que chacun a composé dans son coin. Et pourtant, cela ne nuit en rien à la cohésion de l'album, bien au contraire, la diversité de Just Supposin' vient de là. Ou comment prendre des risques tout en restant fidèle à ses bases. Francis Rossi est à l'origine des compos classiques de boogie ("Run To Mummy", "Lies"), Alan Lancaster se porte garant de la caution "burnée" du Quo et Rick Parfitt nous livre des ovnis avec "Don't Drive My Car" et "Coming And Going" comme jamais il n'en avait fait. Et sur aucun album succédant à Just Supposin' on ne retrouvera ce genre de morceaux (heureusement, diront certains). Le chant n'avait également jamais été aussi appliqué et les performances de chacun apparaissent exceptionnelles, pleines de caractères.
"What You're Proposing" en introduction, le hit de base... Enfin de base, façon de parler : pop et entraînant, déroutant au début, il devient vite irrésistible au fil des écoutes. Simple en appareance, l'alliance guitare acoustique/électrique sera assez difficile à reproduire avec justesse en live. "Run To Mummy" et "Lies" sont les deux seuls titres à se situer plus ou moins dans la lignée de Whatever You Want : l'un est excellent, bien speed et rythmé, bourré de bons riffs et avec un gros débit de paroles de la part de Francis Rossi (à se demander comment il fait pour reprendre son souffle) ; l'autre est plus faible que le reste, avec des choeurs efféminés ridicules !
Comment qualifier le riff de "Don't Drive My Car" ? Reggae ? Funky ? Rien qu'avec toute la force et la conviction dont il fait preuve sur les "Oh oh oh oh", on sent que Rick Parfitt est à deux doigts d'exploser quand il chante là-dessus. Et le riff d'intro de "Name Of The Game" ? Tout bonnement génial ! Même sur les morceaux plus pêchus ("Over The Edge" et "The Wild Ones"), la qualité des refrains n'en finit pas de surprendre. Il y a toujours une trouvaille, un élément imprévisible qui offre à chaque morceau sa particularité, sa personnalité. Avouons que ça n'a pas toujours été le cas, le Quo ne se posait pas autant de questions avant, la devise était plutôt "on trace, point final". Cette période, au moins jusqu'en 1976, reste d'ailleurs la plus appréciée.
L'utilisation de l'harmonica sur "Coming And Going" n'a rien des clichés blues-rock, surtout lorsqu'il est mêlé à des guitares modernes et heavy, cela crée une atmosphère pour le moins spéciale... Encore un excellent titre, ça n'arrête pas sur ce disque ! Et pour terminer l'album, après toute cette intensité non-stop, la ballade "Rock 'N' Roll", une des meilleurs du Quo, tombe à point nommé afin de souffler un peu. La mélodie est simple et touchante, les claviers remarquables, bien que je conçois qu'ils puissent ne pas plaire à tout le monde.
Par son originalité, Just Supposin' n'est sûrement pas le type de disque plébiscité de tous, à l'inverse d'un Hello linéaire et ne contenant que des classiques (un peu comme si un album de Deep Purple ne contenait que des "Smoke On The Water", alors que des classiques certes, mais ce serait d'un lourd...).
Just Supposin' est un album à part, peut-être pas tellement représentatif du répertoire du Quo mais avec une classe qu'on ne retrouve sur aucun autre de leur discographie, de la même façon qu'Another Perfect Day pour Motörhead ou Malice In Wonderland pour Nazareth. De toute évidence, il fallait poursuivre les années 80 dans cette voie, Status Quo aurait alors pu se débarrasser pour de bon de cette étiquette de groupe primaire et limité.