GWAR -
We Kill Everything
GWAR déteste We Kill Everything. Et même si personne au sein du groupe ne s’est jamais réellement étendu sur le sujet, à l’écoute de l’album, on peut comprendre pourquoi. Tout d’abord, la rumeur veut qu’il était parti pour s’intituler High Brow Potty Humor, ce qui aurait d’office donné le ton : concept scatologique, dérision un peu facile… Pourquoi pas, du moment qu’il y a moyen de ricaner à la lecture du livret. Mais en l’occurrence, le titre définitif, en plus d’être monstrueusement peu inventif, fait plus camouflage qu'autre chose.
Car le fond du problème, c’est qu’à l’anxiété polyphonique et accidentée qui caractérisait Cärnival of Chaos succède une atmosphère suffocante de lendemain de cuite. Pas le genre de cuite dont on émerge à trois heures de l’après midi, la langue pâteuse, pour jeter à la poubelle les gobelets qui traînent, quelques paquets de chips éventrés et ranger les bouteilles avant de se faire une tisane. Non, plus de celles dont on est brutalement tiré quatre jours plus tard par le bourdonnement furieux des mouches vertes qui s’accouplent à la surface de la croûte de merde et de vomi séchés qui finit de s'émietter le temps qu'on s’étire, qu'on retire la seringue encore à moitié pleine d’héroïne qu’on a de fichée dans l'œil et de se jurer que c’est fini les conneries, qu’on passe à la bière sans alcool pour de bon dès ce soir (une métaphore qui aura son importance dans les prochaines chroniques). We Kill Everything, c’est un peu le poème épique qui relate le tourbillon de décadence qui a mené à cette épiphanie décisive, avec un instrumental qui se gausse de la NWOBHM ("A Short History etc.") en bonus. Bon, avant le grand plongeon, précisons que cette ultime orgie a tout de même eu du bon : l’absence de Casey Orr durant la période d’enregistrement a été palliée par le bref retour de Michael Bishop, accompagné de son collègue Tim Harriss pour remplacer l'irremplaçable Pete Lee, parti en retraite anticipée pour des raisons de santé (le pauvre se trimballait déjà un anus articifiel pendant le tournage du clip de "Jack The World" cinq ans auparavant).
Globalement, le son renvoie à l'époque Hell Ö, en moins raté : basse grasse, guitares plus punk que metal, batterie enlevée qui swingue bien, prise de son beaucoup plus directe au niveau du chant etc. On gagne en spontanéité, et « spontanéité » n'est pas ici utilisé comme synonyme d'énergie. Car pire, ou en tout cas beaucoup plus embarrassant, que la paresse derrière RagNaRök, c'est à un mélange douteux entre auto parodie et épuisement aussi bien physique que nerveux qu'on a droit tout du long. La plupart des chansons donnent l'impression d'être en nette surcharge pondérale : nombreux sont les riffs qui semblent s'étirer, s'éterniser, les rythmes qui paraissent s'enfoncer… Même une décharge d'agressivité pure comme "Baby Raper", relativement efficace au premier abord, finit par se vautrer dans la fange d'un texte qui n'est qu'une effusion aveugle de grossièretés puériles. Pareil pour "Fishfuck", dont les chœurs rigolos ne masquent pas l'« emprunt » du riff de "Blitzkrieg Bop". Et quand Dave Brockie n'enquille pas les références au caca et au sexe oral pour justifier tel ou tel enchaînement de plans, il joue la carte de la mise en abyme navrante : « GWAR, the once mighty Scumdogs of the Universe, wallow in the filth that their lives have become. Drug addicted, riddled with disease…They're not dogs, they're just scum » (tiré de la narration de "Escape From the Mooselodge" qui forme avec "Jiggle the Handle", chantée par un W.C., et "We Kill Everything" un trio de chansons longues vraiment gonflant à l'écoute).
Dès que l'occasion se présente, le groupe extériorise son malaise avec une retenue et une décence confondantes : « now my brain's filled with bees/my cock is diseased/laden with pus it hangs well past my knees/a swarm of narcotics could get me through this/my manager's gonna be pissed » entend t-on, en plus d'autres semi confessions toutes aussi amères et faussement dérisoires, au cours de "Nitro Burnin' Funny Bong", le morceau que Brockie déteste le plus de toute sa carrière pour des raisons évidentes. Même les « bons » moments, comme le riff de "Jagermonsta", l'orgue lunaire de "Tune from da Moon", l'abnégation touchante et les cuivres de "The Performer", l'explosion de sensualité 80's de "My Girly Ways" (le chant du signe de Slymenstra Hymen) ou encore la ballade punk "Mary Anne", chantée par Mike Derks, semblent avoir été écrits au dos d'ordonnances pour anti-dépresseurs. Au final, c'est aux moments où Brockie parvient à toucher le fond de l'Humiliant, sans pour autant beugler des injures, notamment avec "Penile Drip", équivalent musical des séquelles d'un marathon de plusieurs dizaines d'heures de dessins animés Hanna-Barbera subi avec une serviette de plage dégoulinante d'éther enroulée au tour de la tête, et "Fucking an Animal", tellement au-delà de tout qu'il clôt la chanson en refusant d'y avoir à nouveau affaire, que We Kill Everything échappe au naufrage.
Plus dégradant que mauvais, We Kill Everything marque la fin de l'époque où GWAR ne s'imposait que peu de limites, musicales ou autres, au risque de se prendre les pieds dans le tapis le jour où l'inspiration leur ferait défaut. L'impression générale qui domine est celle d'être confronté à une compilation de faces B bêtes, méchantes et honteuses, sortie comme amuse-gueule entre deux albums pour faire patienter le chaland comme l'avait fait NOFX fut un temps. Cela dit, on a beau se sentir sale et déprimé à son écoute, on en vient parfois à le trouver plaisant comparé à ce qui suit.